Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pavese (Cesare)

Écrivain italien (Santo Stefano Belbo, Cuneo, 1908 - Turin 1950).


Le suicide de Pavese a bientôt transformé en mythe l’homme et son œuvre, mythe qui a sans doute quelque peu surévalué l’œuvre et qui fait trop souvent oublier le rôle de tout premier plan joué par Pavese au lendemain de la guerre dans l’édification, jusqu’alors différée par la censure et l’idéologie fascistes, d’une véritable culture italienne contemporaine : « La culture italienne aujourd’hui n’existe pas : il existe une culture européenne, sinon mondiale ; et l’on ne peut dire un mot valable que si l’on a digéré tout le contemporain. » D’où son inlassable activité de traducteur (de l’anglais et de l’américain : Defoe, Dickens, Joyce, S. Lewis, Melville, S. Anderson, Dos Passos, G. Stein, Faulkner) et de collaboration au sein de la maison d’édition fondée en 1933 par son ami Giulio Einaudi, où il assume, entre autres fonctions, celle de codirecteur, avec Ernesto De Martino (1908-1965), de la collection d’ethnologie, où il fait traduire Cassirer, Hermann Broch, Eliade, Marcel Mauss, Lukács, V. Propp, Dumézil, Malinowski et Károly Kerényi, non sans avoir regard sur la production romanesque italienne, de Vittorini et Calvino (ses collaborateurs chez Einaudi) à Natalia Ginzburg, Bassani et Sanguineti.

« Je ne suis pas un homme à biographie. Je ne laisserai que quelques livres, où tout est dit de moi, ou presque tout. » Bien plus, dès l’âge de dix-neuf ans, Pavese avait choisi son destin d’« homme-livre » : « Celui qui ne vit que parmi les livres et ne voit que les livres ne sait plus vivre que par et avec les livres, raisonne avec les livres, aime les livres, dort, mange toujours avec les livres : Cesare Pavese, en somme, l’homme-livre » (lettre à T. Pinelli, 1927). Plus encore que son journal, Il Mestiere di vivere. Diario 1935-1950 (le Métier de vivre. Journal 1935-1950, posthume, 1952), les deux volumes (1966) de sa correspondance (1924-1944 et 1945-1950) attestent que, si sa vie tout entière fut vécue sous le signe du désir d’écrire, la lecture assidue des livres d’autrui (au même titre que la traduction) a surtout pour fonction de conjurer l’angoisse de ce désir, en différant indéfiniment la décision même d’écrire. Non que Pavese redoute en littérature un échec analogue au fiasco que fut son expérience sexuelle, son masochisme se double au contraire d’un orgueil sans borne et postule précisément une revanche par la littérature ; mais Pavese a toujours pressenti que cette revanche sur les autres et sur la vie ne lui serait acquise qu’au prix de sa propre vie : « Cette sereine contemplation du souvenir que vous relevez dans mes petits livres n’a été qu’au prix de tels renoncements dans ma vie qu’aujourd’hui j’en suis brisé » (lettre, 21 août 1950). Quant à l’exercice lui-même de l’écriture, il a l’acuité douloureuse d’une transe : Pavese a écrit la plupart de ses textes en quelques semaines ; et non seulement il s’interdit la jouissance de caresser longuement l’idée de l’œuvre avant de mettre à exécution (« évidente complaisance qui représente à mon sens une soustraction de libido à l’œuvre. Comme dans la vie où les meilleurs corsaires de Vénus sont les plus silencieux »), mais il esquive encore l’admiration que suscite le livre une fois accompli dans sa perfection : il a à peine eu le temps de connaître la gloire (en l’occurrence le prix Strega en 1950) qu’il se supprime physiquement.

Né par hasard à la campagne, mais issu d’une famille citadine et petite-bourgeoise, Pavese s’est inventé dans son œuvre de fabuleuses ascendances paysannes justifiant les difficultés psychologiques qu’il éprouve à s’insérer dans les cadres dirigeants de la bourgeoisie intellectuelle turinoise et italienne. Si la campagne apparaîtra toujours dans son œuvre comme un refuge mythique, la ville est l’Eldorado de son désir et de son ambition : « La vie, la vraie vie moderne, comme je la rêve et la redoute, est une grande ville, pleine de bruit, d’usines, d’immeubles énormes, de foule et de belles femmes (mais de toute façon je ne sais pas comment les approcher). » C’est à Turin, en tout cas, que Pavese fait ses études secondaires et universitaires (1927-1932), marquées, celles-ci, par la découverte exaltée de la littérature américaine et de l’amour : il écrit les premiers poèmes de Lavorare stanca (Travailler fatigue, 1936). Ses débuts difficiles dans l’enseignement et l’édition sont brutalement interrompus par son arrestation en mai 1935 : Pavese est encore apolitique, mais il est compromis par l’amitié qui le lie aux principaux intellectuels antifascistes turinois réunis autour de Leone Ginzburg (1909-1944). Emprisonné à Turin, puis à Rome, il est ensuite condamné à l’exil à Brancaleone (Calabre). Libéré dès 1936, il est gravement affecté par l’échec de sa première relation amoureuse et par le silence qui accueille Lavorare stanca. Il renonce définitivement à son vieux projet d’un voyage en Amérique et signe en 1938 son premier contrat officieux avec Einaudi (auquel fera suite un contrat officiel en 1942). Ses premiers récits datent de 1936-37, recueillis plus tard dans Notte di festa (Nuit de fête, 1953), et Pavese achève en 1939 son premier roman, Il Carcere (Prison), commencé en 1936 et publié en 1949 (in Prima che il gallo canti [Avant que le coq chante]). Lui succéderont Paesi tuoi (éd. 1941), La Bella Estate (le Bel Été, éd. 1949, dans le recueil homonyme La Bella Estate), La Spiaggia (la Plage, 1942), Feria d’agosto (proses et récits, 1946), Dialoghi con Leuco (Dialogues avec Leuco, 1947), Il Compagno (le Camarade, 1947), La Casa in collina (la Maison sur les collines, 1949, in Prima che il gallo canti), Il Diavolo sulle colline (le Diable sur les collines, 1949, in La Bella Estate), Tra donne sole (Entre femmes seules, 1949, id.), La Luna e i falo (la Lune et les feux, 1950). Paraîtront posthumes, outre le journal et la correspondance déjà cités, les écrits critiques, La Letteratura americana e altri saggi (1951), et les poésies de Verra la morte e avra i tuoi occhi (La mort viendra et elle aura tes yeux, 1951), inspirées à Pavese, à la veille de sa mort, par son amour tragique pour l’actrice américaine Constance Dowling (Pavese écrivit pour elle deux scénarios : Il Diavolo sulle colline et Gioventù crudele, publiés en septembre-octobre 1959 dans Cinema nuovo). Une édition intégrale de l’œuvre de Pavese est en cours chez Einaudi depuis 1961.