Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

orthodoxes (suite)

Esquisse historique


Du règne de Justinien (527-565) au patriarcat de Photios (858)

Bien qu’enracinée sans aucune rupture dans la tradition des siècles antérieurs, c’est avec l’empereur Justinien* (527-565) et, dans une certaine mesure, sous son influence immédiate que l’orthodoxie manifeste les traits distinctifs qui n’ont cessé de la caractériser. Sur le plan doctrinal, la foi orthodoxe est juridiquement promulguée par le Code Justinien. Ce code et la législation subséquente règlent l’organisation et la discipline ecclésiastiques sur la base d’une fédération de cinq patriarcats, un droit d’appel et de recours en dernier ressort étant reconnu aux sièges de Rome et de Constantinople* (Nouvelle Rome) ; cette législation sera reprise et complétée au concile in Trullo, dit aussi Quinisexte (691-92), complément disciplinaire des deux conciles doctrinaux (œcuméniques) de 553 et de 681. La reconstruction sur un plan plus vaste et plus grandiose de la basilique patriarcale de Sainte-Sophie (Sagesse divine) à Constantinople (532-537) crée le cadre dans lequel va se développer une liturgie somptueuse, intégrant aux rites chrétiens, venus principalement d’Antioche, le cérémonial des « Sacrés Palais » impériaux pour magnifier le Christ « Pantocrator » (Tout-Puissant). Ce premier apogée est bientôt suivi d’une longue période de décadence et de crises. La plus longue et la plus grave crise pour la vie de l’Église est la crise iconoclaste (726-843), qui gravite autour de la légitimité du culte rendu aux images (icônes) du Christ et des saints ; elle sera l’occasion d’un approfondissement doctrinal sur les conséquences de l’Incarnation du Verbe de Dieu, sanctionné au concile œcuménique de Nicée II (787), dont les enseignements, d’abord récusés dans l’Occident latin (Livres carolins, 790), ne seront jamais pleinement intégrés par lui. Après divers soubresauts, cette longue crise s’achève en 843 par la restauration solennelle du culte des images et l’institution, le premier dimanche de carême, d’une fête de l’orthodoxie, au cours de laquelle la lecture d’un synodikon proclame la foi orthodoxe et réitère la condamnation des hérétiques.


Du patriarcat de Photios (858-886) à la prise de Constantinople par les Latins (1204)

La nomination par l’empereur au siège patriarcal de Constantinople d’un haut fonctionnaire de grande culture, Photios* (ou Photius), substitué au patriarche déposé Ignace, bientôt suivie par l’avènement d’une nouvelle dynastie avec Basile Ier le Macédonien (867), inaugure une période nouvelle, glorieuse et décisive pour l’avenir de l’orthodoxie. Tandis que des reconquêtes réintègrent à l’empire chrétien une large portion des provinces orientales occupées par les Arabes et placent sous l’influence immédiate de Constantinople les anciens patriarcats « melkites » (impériaux) d’Antioche*, de Jérusalem* et même d’Alexandrie*, l’adoption du christianisme par les peuples slaves ouvre un champ élargi à l’orthodoxie. Si la mission des frères thessaloniciens Constantin (Cyrille*) et Méthode en Bohême-Moravie (861) doit se replier devant l’hostilité du clergé latin germanique, leurs disciples auront plein succès parmi les Bulgares, dont le chef, Boris, reçoit le baptême sous le nom de Michel vers 864 selon le rite byzantin. Cet exemple sera suivi un siècle plus tard par le prince russe de Kiev* Vladimir (987) ; le christianisme d’expression byzantine progresse également parmi les Serbes, qui ne formeront un État qu’au xiiie s. Cette expansion est contrebalancée par des tensions de plus en plus fréquentes et graves avec l’Occident latin et le siège de Rome.

Une première crise s’exacerbe sous Photios, prenant argument à la fois de conflits de juridiction sur le « vicariat d’Illyrie » (actuelles Yougoslavie et Macédoine) et de l’introduction par les Latins dans le Credo de l’ajout Filioque (« et du Fils ») à propos de l’origine du Saint-Esprit. Après divers rebondissements, la controverse aboutit à une rupture complète sous le patriarche Michel Keroularios (ou Cérulaire, 1043-1059) avec excommunications réciproques du pape et du patriarche (juill. 1054), qui ne seront déclarées abolies qu’en 1965. Cette rupture n’aurait sans doute pas eu de conséquence aussi grave et aussi durable si les croisades* n’étaient venues multiplier les occasions de conflits et d’incompréhension. L’irrémédiable est provoqué par la prise de Constantinople (quatrième croisade, printemps 1204), bientôt suivie par la substitution au patriarche légitime d’un patriarche latin, directement nommé par le pape Innocent III.

C’est parmi ces traverses que l’orthodoxie fixe ses traits définitifs : ecclésiologie fondée sur une libre communion dans la foi (symphonia) d’Églises égales entre elles, le patriarche de Constantinople (et celui de Rome) n’ayant qu’une primauté d’honneur. Sous l’influence grandissante du monachisme* et surtout du monastère constantinopolitain de Stoudios, qui avait joué un rôle de premier plan pendant la crise iconoclaste, la liturgie intègre des usages et des formulaires d’origine monastique, venus pour une large part de Syrie-Palestine. Grâce, notamment, aux hymnes léguées par les grands mélodes, saint Jean Damascène et les stoudites, c’est toute une spiritualité qui imprègne le peuple chrétien orthodoxe ; avec la fondation du foyer monastique du mont Athos* (963) et l’influence d’une personnalité telle que Syméon le Nouveau Théologien (v. 949-1022), cette tradition spirituelle monastique parvient à la pleine maturité qui rayonnera à travers tout le monde orthodoxe.


De la restauration de l’Empire (1261) à la chute de Constantinople (1453)

Le rétablissement du siège patriarcal byzantin traditionnel à Constantinople après plus d’un demi-siècle d’occupation latine inaugure une période nouvelle, qui verra une dernière floraison spirituelle dans le cadre d’un empire morcelé en plusieurs principautés et dont les frontières se rétrécissent de plus en plus sous la pression croissante des incursions turques. Dans l’espoir d’obtenir un appui militaire occidental, les empereurs Paléologues* tentent, à diverses reprises, de rétablir l’union de l’Église orthodoxe avec le siège de Rome. L’acte signé au concile de Lyon (1274) est presque aussitôt rompu. Il sera renouvelé dans des conditions apparemment mieux pesées au concile de Florence (juill. 1439), alors que les Ottomans* préparent déjà l’ultime assaut contre la capitale byzantine. Mais les méfiances et les malentendus étaient trop grands, l’opinion publique était trop insuffisamment préparée, et la conception romaine de la primauté trop différente de celle que pouvait accepter la chrétienté orthodoxe. Tant à Constantinople qu’à Moscou*, dont l’influence ne cesse de grandir dans l’Orient chrétien, l’union est bientôt récusée sous la pression populaire. Ces deux siècles de survie de l’Empire byzantin n’en sont pas moins étonnamment féconds tant dans le domaine spirituel et doctrinal que dans celui de la culture. En même temps qu’une véritable renaissance de l’hellénisme, dont les conséquences pour le monde occidental seront incalculables, se manifeste un renouveau théologique qui tranche sur la longue stagnation de l’époque précédente. Il est suscité tant par la réaction des milieux monastiques et ecclésiastiques à l’encontre de l’humanisme platonisant de certains groupes universitaires et intellectuels que par le développement, notamment à l’Athos, d’un courant spirituel venu des monastères du Sinaï et qui préconise une méthode de concentration en vue de favoriser la grâce de l’illumination spirituelle rayonnant en l’homme tout entier, corporel autant que spirituel.