Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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orthodoxes (suite)

Ce courant, connu sous le nom d’hésychasme (quiétude), trouvera son explication doctrinale dans l’œuvre de saint Grégoire Palamas (v. 1296-1359) [v. palamisme], officiellement reçue par l’Église en ses lignes essentielles lors du synode tenu au palais des Blachernes et conclu dans la basilique patriarcale de Sainte-Sophie (1351). Ce courant spirituel ne reste pas restreint aux milieux monastiques : il connaît une large expansion parmi les laïques cultivés, notamment avec l’œuvre de Nicolas Cabasilas (v. 1320-v. 1387) ; on a pu déceler son influence sur l’art, empreint de douceur et de paix, de l’âge des Paléologues tant dans les régions byzantines proprement dites qu’en Bulgarie* et surtout qu’en Serbie*, où, sous le règne d’Étienne Dušan (1331-1355), est créé en 1346 le patriarcat autonome de Peć, reconnu par Constantinople en 1375 et qui survivra à la défaite de Kosovo (1389), pour n’être supprimé qu’en 1459 par Mehmed II Fatih. En Bulgarie, le patriarcat national érigé à Tărnovo en 1204, au lendemain de l’occupation latine de Constantinople, s’effondrera dès la conquête turque en 1393. Dans les principautés russes, par contre, le métropolite de Kiev, qui s’est fixé à Moscou en 1325, voit son autonomie de fait s’affermir en même temps que grandit la puissance moscovite. Seuls les antiques patriarcats melkites, victimes des croisades comme de l’insécurité grandissante des pays arabes, mènent une existence de plus en plus précaire.


Depuis la chute de Constantinople (1453)

La prise de la capitale par les Turcs ottomans de Mehmed II Fatih (29 mai 1453), mettant fin à l’Empire byzantin millénaire, transforme radicalement la situation de l’Église, étroitement liée à cet Empire. En fait, le Conquérant, instituant comme patriarche le moine théologien antilatin Georges Scholarios, qui prend le nom de Gennadios II (1454-1456), établit celui-ci à la fois ethnarque des Grecs et chef suprême de tous les orthodoxes de son empire, lui permettant même l’usage de certains insignes impériaux. Situation conforme au droit islamique, qui ne sépare pas les juridictions civile et religieuse, mais situation précaire, qui lie le patriarcat à l’administration de la Sublime Porte et identifie la religion orthodoxe avec l’hellénisme. La haute administration patriarcale est sous l’influence immédiate de la puissante aristocratie commerçante des Phanariotes (du nom de Phanar, quartier d’Istanbul-Constantinople, où se trouvent leurs résidences et leurs entrepôts ; c’est là que le patriarche établit finalement sa résidence à partir de 1612). C’est avec leur collaboration et, pour une large part, grâce au rôle grandissant qu’ils jouent dans l’Empire ottoman que l’emprise du « patriarcat œcuménique » s’affermit sur les anciens patriarcats melkites : le patriarche d’Alexandrie, réfugié à Constantinople à partir de 1517, ne regagnera l’Égypte que sous Méhémet-Ali (1846) et ne retrouvera une certaine autonomie qu’au début du xxe s., pour rester d’ailleurs jusqu’à maintenant strictement hellénophone.

Le patriarcat d’Antioche, établi à Damas depuis 1380 environ, sera sous la tutelle immédiate du saint-synode constantinopolitain à partir de l’élection controuvée de 1724 jusqu’à 1899. C’était déjà, depuis la fin du royaume latin de Jérusalem (1291), la situation du patriarche de la Ville sainte ; après la conquête ottomane (1517), son élection sera confiée, sous le contrôle de la Sublime Porte et du saint-synode de Constantinople, à la « confrérie du Saint-Sépulcre (hagiotaphique) », qui, au moins depuis 1534, a toujours réservé à des Grecs les hautes charges ecclésiastiques. Il en va de même pour les anciens pays bulgares et serbes conquis par les Turcs depuis l’hellénisation de l’archevêché d’Ohrid, qui finira d’ailleurs par être lui-même supprimé en 1767.

Dans le Sud-Est européen, ce sont les principautés semi-autonomes de Valachie et Moldavie, administrées par une aristocratie civile et ecclésiastique très hellénisée, qui constituent l’un des foyers les plus vivants de l’orthodoxie, tandis que, dans la Transylvanie, soumise à la domination des Habsbourg à partir de 1691 et depuis longtemps troublée par la crise calviniste, se dessine un mouvement d’union avec Rome qui aboutit à l’acte d’Alba-Iulia (1698).

Un siècle plus tôt, un mouvement semblable en pays ruthène, incorporé au royaume de Pologne-Lituanie depuis 1501, avait, au lendemain de l’érection du patriarcat de Moscou, provoqué l’union de Brest-Litovsk (1596), prototype des Églises « catholiques uniates », c’est-à-dire qui maintiennent la liturgie et les usages byzantins dans le cadre d’une ecclésiologie et d’une théologie conformes aux conceptions romaines. Un réveil à la fois national et spirituel se manifeste par contre sous l’impulsion de l’Église orthodoxe dans les pays grecs, notamment dans les îles de l’Égée et en Crète. Si, d’une part, il prépare les insurrections qui conduiront à l’indépendance et à la constitution d’Églises nationales, il est animé en profondeur par une renaissance artistique (école crétoise d’iconographie), littéraire et spirituelle.

Ce renouveau spirituel a comme principal foyer la république monastique de l’Athos, à laquelle est reconnue une assez large autonomie. C’est là que s’élabore l’œuvre théologique, canonique et spirituelle de saint Nicodème l’Hagiorite (1749-1809) et de ses compagnons ; au premier plan, la compilation juridico-canonique du Pidalion (Gouvernail, 1800) et surtout la somme ascétique et mystique de la tradition hésychaste, la Philocalie (Amour du beau, 1782), dont l’influence sera immense, notamment dans le monde russe (la traduction slavonne de Païssi Velitchkovski [1722-1794], la Dobrotolioubie, est publiée à Saint-Pétersbourg en 1793).

C’est en effet la Russie* qui va devenir durant cette période le véritable centre de l’orthodoxie et le foyer d’une rénovation décisive de l’héritage doctrinal et spirituel reçu de Byzance. Si la vieille métropole de Kiev a perdu son rôle primatial à partir de l’invasion mongole de 1240, son archevêque, après avoir cherché refuge à Vladimir, fixe sa résidence dans la nouvelle capitale princière de Moscou en 1325. Ayant récusé l’union de Florence signée par le métropolite Isidore, Moscou se constitue en métropole autonome en 1448. Après son mariage en 1472 avec une princesse byzantine, le grand-prince Ivan III (1462-1505) se considère comme l’héritier légitime de l’Empire byzantin et prend le titre de tsar (César).