Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

‘Abbāssides (suite)

Après une période de répit, les ‘Abbāssides affrontent de 869 à 883 la révolte des esclaves noirs connus sous le nom de zandj. Dans la société islamique, les esclaves sont le plus souvent des domestiques ou des soldats. Dans ce dernier cas, ils sont appelés mamelouks et constituent une caste privilégiée très influente dans les affaires d’État. Mais, avec le développement économique, la classe des capitalistes et des entrepreneurs achète d’innombrables esclaves et les emploie dans les travaux agricoles. Un grand nombre de ces esclaves sont employés dans les salines à l’est de Bassora. Leur travail consiste à drainer les marais salants en vue de préparer le terrain pour l’agriculture et extraire le sel pour la vente. Ils opèrent par équipes de cinq cents à cinq mille, dans des conditions extrêmement dures. Maltraités, mal nourris, ils constituent des troupes de choix pour un mouvement d’opposition. En septembre 869, un Persan, ‘Alī ibn Muḥammad, entreprend de les soulever. Il leur promet d’améliorer leur niveau de vie, de les rendre à leur tour maîtres d’esclaves et de leur donner de belles demeures. Il les convertit au khāridjisme, doctrine égalitaire qui affirme que le califat doit revenir au meilleur des musulmans, fût-il esclave. Fanatisés par ‘Alī ibn Muḥammad, les zandj considèrent comme infidèles tous les autres musulmans. Ils entreprennent de mener une lutte à mort contre ces hérétiques qui, à leurs yeux, se confondent avec les grands propriétaires. Leur mouvement s’étend très vite grâce au ralliement des troupes noires des armées impériales, à l’adhésion de certaines tribus bédouines et à la solidarité des paysans hostiles aux propriétaires. Les zandj infligent plusieurs défaites à l’armée impériale, s’emparent d’importantes régions en Iraq et en Perse, occupent en 878 Wāsiṭ, une vieille ville de garnison, et menacent Bassora et Bagdad. Pour venir à bout de cette révolte, les ‘Abbāssides organisent une importante force expéditionnaire. Le mouvement des zandj subit ses premières défaites au début de 881. Il est définitivement écrasé par les ‘Abbāssides à la fin de 883.


Le mouvement des ismaéliens

Plus radical encore est le mouvement des ismaéliens, une ramification du chī‘isme qui traduit le mécontentement des opprimés de l’Empire. Très organisés, les ismaéliens obéissent aveuglément à l’imām — descendant de ‘Alī par sa femme Fāṭima, la fille de Mahomet —, considéré comme inspiré de Dieu et donc infaillible. Au début du xe s., la secte exerce, à la faveur de la crise sociale de l’Empire, un puissant attrait sur le prolétariat urbain et les artisans. Les adversaires des ismaéliens reprochent à ceux-ci de préconiser la communauté des biens et des femmes. En réalité, si l’accusation de communisme semble fondée, celle de libertinage vise probablement le niveau social plus élevé que les ismaéliens accordent à la femme.


Les qarmaṭes

Vers 894, des ismaéliens connus sous le nom de qarmaṭes s’emparent du pouvoir dans la province de Bahreïn après avoir ravagé la Syrie, la Palestine et la Mésopotamie septentrionale. Ils constituent une république oligarchique dirigée par un Conseil de six, qui gouverne avec équité. L’État subvient aux besoins des pauvres et donne à tout artisan étranger venu à la capitale les fonds nécessaires à son établissement.


Les Fāṭimides

En 901, d’autres ismaéliens occupent le Yémen, à partir duquel ils envoient des missionnaires en Inde et en Afrique du Nord. En 908, leur mission nord-africaine se solde par un immense succès en Tunisie. Ils constituent alors la dynastie des Fāṭimides, qui parvient à contrôler progressivement l’Afrique du Nord, la Sicile, l’Égypte, la Syrie et l’Arabie occidentale.


La dislocation de l’unité politique de l’Empire

En minant le régime ‘abbāsside, ces mouvements contribuent à la dislocation de l’unité politique de l’Empire. Celle-ci commence, il est vrai, plus tôt pour les provinces occidentales. Dès 756, l’Espagne échappe au contrôle des ‘Abbāssides. Le Maroc et la Tunisie acquièrent une autonomie de fait respectivement en 788 et 800. L’Égypte se détache de l’Empire en 868 et étend sa domination sur la Syrie. Quelques années auparavant, en 820, un général persan au service d’al-Ma’mūn, nommé Ṭāhir, avait établi un gouvernement héréditaire en Perse orientale. Des dynasties se constituent en d’autres parties de la Perse : celle des Ṣaffārides vers 867 et celle des Sāmānides vers 874. Au cours du xe s., plusieurs tribus arabes du désert syrien établissent de brillantes dynasties bédouines, comme celle des Ḥamdānides de Mossoul et d’Alep.


Le déclin des ‘Abbāssides

Au demeurant, même en Iraq, la réalité du pouvoir n’appartient plus aux ‘Abbāssides. À partir du ixe s., aux problèmes sociaux viennent s’ajouter des difficultés économiques dues essentiellement au luxe excessif de la cour et au poids écrasant de la bureaucratie. Pour pallier cette situation, les califes afferment les domaines d’État à des gouverneurs de district, qui doivent, en contrepartie, verser une somme au gouvernement central et assurer l’entretien des troupes et des fonctionnaires locaux. Devenus les véritables chefs de l’armée, ces « gouverneurs-fermiers » s’imposent par leur intervention contre les révoltes sociales. Commandants de l’armée et gardes des califes, le plus souvent des mamelouks turcs, ils deviennent à partir d’al-Mu‘taṣim (833-842) et d’al-Wāthiq (842-847) les maîtres de l’Empire. En 836, la résidence impériale est transférée à Sāmarrā, qui restera capitale jusqu’en 892. En 945, à la suite de l’invasion de Bagdad par la famille persane des Buwayhides, les califes perdent les derniers vestiges de leur autorité. Dès lors, les califes sont à la merci des maires de palais, en général persans ou turcs, qui gouvernent avec l’appui des troupes placées sous leur commandement.

En 1055, les Turcs Seldjoukides chassent les Buwayhides de Bagdad et constituent un immense empire, comportant la plus grande partie de la Perse, l’Iraq, la Syrie, la Palestine et une bonne partie de l’Anatolie. Pour légitimer leur pouvoir, ils laissent aux califes ‘abbāssides une apparence de souveraineté.