Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

‘Abbāssides (suite)

La chute des ‘Abbāssides

Au début du xiiie s., les Mongols envahissent le monde musulman, occupent Bagdad en 1258 et abolissent le califat ‘abbāsside. L’Égypte et la Syrie échappent à la domination des Mongols grâce au régime ayyūbide, qui, aguerri au cours des croisades, résiste aux envahisseurs. Peu de temps après l’occupation de Bagdad, commandants de l’armée et gardes des rois ayyūbides, mamelouks d’origine turque, s’emparent du pouvoir. Pour donner une base légale à leur autorité, les mamelouks font venir au Caire un ‘Abbāsside survivant du massacre de Bagdad et l’intronisent en grande pompe comme calife. Les ‘Abbāssides conservent cette dignité spirituelle jusqu’à l’avènement des Turcs Ottomans, qui occupent en 1516-1517 l’Égypte et la Syrie, chassent les mamelouks et s’attribuent d’abord les privilèges, ensuite le titre de calife.

M. A.


Les arts ‘abbāssides

Les arts ‘abbāssides ont un domaine immense puisqu’ils couvrent tous les pays soumis au califat de Bagdad et, dans une moindre mesure, les terres musulmanes qui lui échappent. Mais c’est essentiellement en Iraq* que nous aurons à les considérer. Pendant le premier siècle de son histoire, l’islām, dans sa capitale de Damas*, eut surtout pour tâche de marier les impératifs arabes et coraniques avec la culture hellénistique. Avec la fondation de Bagdad, il se détourne du monde classique et paléochrétien, et s’ouvre largement à la civilisation iranienne ; l’art sassanide, et du même coup celui du vieil Iran*, exerce une influence prépondérante. Avec le recrutement de mercenaires turcs, l’islām accepte en partie les traditions de l’Asie* centrale ; nous les percevons moins bien, car elles sont moins connues et parfois apparentées à celles de l’Iran. Ainsi, les nouvelles écoles artistiques, sans abandonner totalement l’acquis omeyyade, vont l’enrichir considérablement et parachever une création qui n’était qu’ébauchée.


L’architecture

Le plan de Bagdad (fondée en 762, achevée en 766) est copié sur celui des villes sassanides : son fondateur, Abū Dja‘far al-Manṣūr, inscrit la ville dans une enceinte circulaire garnie de tours cylindriques et percée de quatre portes ; il place en son milieu le palais impérial et la Grande Mosquée. Il n’en reste que des souvenirs littéraires. Par contre, il subsiste une fraction de la muraille de Raqqa, qui affectait la forme d’un arc en fer à cheval. Au viiie s., à Raqqa, la porte dite « de Bagdad » et, en Palestine, la citerne de Ramla attestent l’emploi de l’arc brisé plusieurs siècles avant son apparition en Europe.

La disparition de Bagdad et la relative pauvreté de Raqqa sont compensées par les trouvailles archéologiques faites à Sāmarrā, capitale éphémère (836-892) abandonnée ensuite aux sables. Dans cette immense cité, longue de 33 km sur la rive orientale du Tigre, on a retrouvé, outre de nombreuses maisons particulières, les ruines d’un ensemble de monuments répartis en trois secteurs : au centre, le palais califal, la Grande Mosquée de Dja‘far al-Mutawakkil et deux hippodromes ; au nord, le château Dja‘farī et la mosquée d’Abū Dulaf ; au sud, un autre palais, le mieux conservé de Sāmarrā, le Balkuwārā. Sur la rive ouest, plusieurs autres palais avaient été édifiés (Qaṣr al-‘Āchiq), ainsi qu’un tombeau monumental, le Qubbat al-Ṣulaybiyya.

Sāmarrā, comme Bagdad et Raqqa, était construite en briques cuites ou crues. L’emploi systématique de ce matériau non seulement pour les murs, mais encore pour les piles, substituées aux colonnes, et pour les couvertures allait favoriser les voûtes, qui étaient connues en Syrie*, mais dont l’Iran offrait un plus complet échantillonnage. Parmi les diverses voûtes utilisées, dont la coupole, celle dont l’emprunt fut le plus heureux et le plus retentissant est l’iwān, vaste salle en berceau fermée de trois côtés et tout ouverte du quatrième sur l’extérieur. Le palais de Ctésiphon en offrait un magnifique exemple, qui allait être repris dans les palais de Sāmarrā. Ce n’est pas le seul emprunt de l’art palatial sāmarrien à l’art palatial sassanide. À 120 km au sud-ouest de Bagdad, le château d’Ukhayḍir, mis en chantier vers 778, ruine de grande allure, est plus caractéristique de l’art nouveau par la grande variété de ses voûtages, dont ceux de l’iwān, par ses installations défensives entièrement neuves que par son plan, qui suit encore celui des édifices omeyyades. C’est encore aux portes des châteaux que, pour la première fois, on utilise les stalactites pour équilibrer les poussées : cette méthode fera fortune dans tout l’islām. La Grande Mosquée de Sāmarrā, reconstruite par al-Mutawakkil à partir de 848-849, et la Grande Mosquée de Raqqa, fondée en 772, ont leurs salles de prières agencées selon le modèle établi sous les Omeyyades, à Kūfa, mais déjà inspirées par la salle hypostyle des apadânas achéménides : une forêt de piles supportent directement le plafond, sans intervention de l’arc. À Sāmarrā, la Grande Mosquée, qui forme un rectangle de 260 × 180 m, lui-même entouré — comme le prouvent les photos aériennes — d’une autre enceinte près de quatre fois plus vaste, est le plus grand sanctuaire qui fut jamais construit en islām. Il n’en reste que les murailles, épaisses de 2,65 m et hautes de 10,50 m, renforcées de tours semi-circulaires, et le célèbre minaret, la Malwiyya, construit à proximité d’elles et recopié quelques années plus tard à la mosquée d’Abū Dulaf. Ce minaret est une tour au noyau cylindrique entouré d’une rampe en hélice, dont la masse diminue de la base au sommet. On s’accorde en général à le dire dérivé des ziggourats mésopotamiennes (v. Mésopotamie). Son rôle architectural fut considérable, car il permit d’échapper au seul modèle des minarets sur plan carré, inspiré des clochers syriens. Quand Aḥmad ibn Ṭūlūn, fils d’un mercenaire turc de Sāmarrā et gouverneur d’Égypte, veut, en 876, construire à Fusṭāṭ (Le Caire) une nouvelle mosquée, il pense à celle d’al-Mutawakkil. L’oratoire qu’il fait édifier, un des plus beaux d’Égypte*, donne, en pierre, une version aménagée de la Malwiyya. Très différente de conception est la sainte mosquée al-Aqṣā de Jérusalem*, dont la partie subsistante la plus ancienne serait, selon plusieurs archéologues, d’époque ‘abbāsside. Avant les transformations qu’elle subit au Moyen Âge, elle comprenait une nef centrale flanquée de quatorze nefs plus étroites sous toits à pignons. Ce plan semble d’inspiration omeyyade. Le Qubbat al-Ṣulaybiyya de Sāmarrā, malgré les antécédents qu’on a voulu lui trouver, apparaît comme le premier mausolée édifié en islām, et l’on comprend l’importance qu’il revêt de ce fait, puisque, dans la suite des temps, l’art funéraire, nonobstant les prescriptions religieuses, ne cessera de se développer. C’est une construction octogonale dans laquelle se trouve emboîté un second octogone entouré d’un couloir. Si ce plan porte nettement la marque de son origine paléochrétienne (martyrium syro-palestinien), il ne semble pas exclu que les coutumes funéraires turques aient pu être responsables de l’érection du bâtiment.