Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

‘Abbāssides (suite)

Le commerce

Cet essor économique ajouté à la position géographique de l’Iraq favorise le développement du commerce avec l’Europe et l’Extrême-Orient. Les marchands musulmans effectuent à partir des ports du golfe Persique et de la mer Rouge des échanges avec l’Inde, Ceylan, les Indes orientales et la Chine. De ces pays, ils rapportent des épices, des aromates, du bois précieux et d’autres articles de luxe, destinés tant à la consommation intérieure qu’à la réexportation vers l’Europe et l’Empire byzantin. Ce dernier exporte dans le monde musulman des vaisselles d’or et d’argent, des pièces d’or, des drogues, mais aussi des ingénieurs hydrauliques, des esclaves, des eunuques. Le commerce islamique s’étend jusqu’à la Baltique en passant par la mer Caspienne, la mer Noire et la Russie, d’où proviennent les fourrures, les peaux et l’ambre. Les Arabes commercent aussi avec l’Afrique, d’où ils importent de l’or et des esclaves. Le commerce avec l’Europe occidentale s’effectue par l’intermédiaire de marchands juifs, principalement ceux du midi de la France, qui servent d’agents de liaison entre deux mondes hostiles.


Le système bancaire

La prospérité du commerce et des entreprises donne naissance à des établissements bancaires. Le ṣarrāf, ou changeur, personnage indispensable dans une économie fondée sur une double monnaie, le dirham d’argent d’origine persane et le dinar d’or d’origine byzantine, se transforme au ixe s. en banquier. Très vite, le système bancaire atteint un niveau d’organisation avancé. Bagdad devient le centre de puissantes banques qui ont des succursales dans d’autres villes de l’Empire. Les marchands possèdent des comptes en banque et utilisent dans leurs transactions les chèques et les lettres de crédit. L’islām interdisant l’usure, la plupart des banquiers sont des juifs ou des chrétiens.


Les classes sociales

Les Arabes cessent de former une caste fermée héréditaire pour s’ouvrir à tous les musulmans d’expression arabe. La différenciation ethnique s’estompe avec le progrès de l’arabisation. Une nouvelle classe composée de riches et d’érudits se substitue à l’aristocratie guerrière dans la direction de l’Empire. Il s’agit de grands possédants enrichis dans les opérations commerciales et bancaires, les spéculations et l’exploitation de la terre, et de fonctionnaires bien rémunérés, dont les emplois offrent des possibilités illimitées de profits additionnels.

Cette classe comprend, à côté des musulmans, des dhimmīs, ou sujets non musulmans de l’Empire, qui, quoique citoyens de seconde zone, pratiquent librement leur religion, disposent de droits de propriété normaux et occupent des postes importants dans l’administration.

La révolution économique se traduit également par la détérioration du niveau de vie des paysans, due aux spéculations des marchands et des grands propriétaires, et à l’introduction de la main-d’œuvre servile dans les grands domaines. La naissance d’un prolétariat important ne tardera pas à devenir pour le régime ‘abbāsside une source de difficultés.


L’apogée de l’Empire ‘abbāsside

La puissance de l’Empire ‘abbāsside semble inébranlable jusqu’au règne de Hārūn al-Rachīd* (786-809). La civilisation musulmane atteint avec ce calife un degré de raffinement resté légendaire. Bagdad est alors non seulement le centre politique et économique du monde, mais aussi un haut lieu d’art, de culture et de pensée. Cette civilisation connaît son apogée sous le règne d’al-Ma’mūn (813-833). Très cultivé, ce calife encourage le développement et la confrontation des idées dans un climat de tolérance exceptionnel pour l’époque. Il institue en 830 un centre de traduction baptisé « Dār al Ḥikma » ou « Maison de la Sagesse », grâce auquel de nombreux manuscrits grecs disparus nous sont parvenus en version arabe. Cependant, dès le règne de Hārūn al-Rachīd, les contradictions de l’Empire commencent à se manifester. L’éviction violente des Barmakides en 803 ébranle l’alliance des ‘Abbāssides avec l’aristocratie persane. À la mort de Hārūn, ces contradictions se traduisent par une guerre civile entre les deux fils du grand calife, Amīn et Ma’mūn, soutenus respectivement par les Irakiens et les Iraniens. Cette lutte entre les deux frères recouvre de vieux antagonismes sociaux doublés d’un conflit régional entre la Perse et l’Iraq.


Les révoltes sociales

Les problèmes sociaux hérités du régime omeyyade se sont aggravés à l’époque ‘abbāsside sous l’effet du développement économique. Des mouvements sont nés, qui, sous une forme religieuse, cachent des rivalités économiques et sociales. Dans une société où le temporel se confond avec le spirituel, les sectes religieuses constituent les cadres naturels pour défier l’ordre établi. Ces mouvements se sont développés d’abord en Perse, où les partisans d’Abū Muslim fomentent, à la suite de son exécution, une série de révoltes paysannes qui se réclament d’une idéologie relevant d’un mélange de principes mazdakites et chī‘ites extrémistes. La plus dangereuse de ces révoltes — celle de Muqanna‘ « le Voilé » — s’étend à travers le Khurāsān, jusqu’en Asie centrale. Les ‘Abbāssides parviennent, sans beaucoup de difficultés, à écraser tous ces mouvements. Leur régime semble même au début du ixe s. au faîte de sa puissance. Or c’est précisément à cette époque que commencent les grandes difficultés. L’Empire paraît, sous l’effet du développement économique, échapper au contrôle de la classe dirigeante.


La révolte de Bābak

De 816 à 837, un Persan, Bābak, mène parmi les paysans, auxquels il promet le partage des terres, un mouvement qui, de l’Azerbaïdjan, gagne le sud-ouest de la Perse, les provinces caspiennes et l’Arménie. Après avoir miné pendant plus de vingt ans le régime ‘abbāsside, cette révolte est écrasée en 838 par le calife al-Mu‘taṣim.


La révolte des zandj