genre

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin genus, « naissance », « origine » ; par suite, « toute réunion d'êtres ayant une origine commune et des ressemblances naturelles ».

Philosophie Antique, Philosophie Médiévale

Au sens biologique, subdivision de la famille. Au sens logique, classe qui englobe d'autres classes de moindre extension : les espèces. Le genre est un des cinq universaux, ou prédicables.

Aristote donne trois définitions du genre(1) : génération continue des choses ayant la même forme (par exemple, le genre humain) ; ce qui remonte à une naissance ou une origine commune (une race ou une ethnie) ; le premier composant de la formule répondant à la question « qu'est-ce que l'être dont il s'agit ? » (par exemple, « animal » dans la définition de l'homme animal raisonnable) : en ce dernier sens, philosophiquement le plus important, le genre est ce qui se prédique essentiellement de plusieurs choses spécifiquement différentes(2). En tant que prédicable essentiel bien que non coextensif de la substance première, il est substance seconde(3). Porphyre, dans l'Isagoge, remanie et systématise l'organisation des « prédicables », (le genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident). Il contribue également à expliciter les problèmes soulevés par la conception du genre chez Aristote. Il nie, d'une part, contre les stoïciens(4), l'existence de tout genre suprême, fidèle en ce sens à la thèse de l'incommunicabilité des genres soutenue par Aristote(5). Il évoque, d'autre part, la question du statut ontologique des genres et des espèces, reprise dans le cadre des polémiques de la fin du Moyen Âge, opposant les tenants d'un réalisme des universaux comme Duns Scot au nominalisme de Guillaume d'Occam.

Annie Hourcade

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Métaphysique, V, 28, 1024 a 28 sq.
  • 2 ↑ Aristote, Topiques, I, 5, 102 a 31.
  • 3 ↑ Aristote, Catégories, 5, 2 b 28 sq.
  • 4 ↑ Alexandre d'Aphrodise, In Aristotelis Topicorum, 359, 12-16.
  • 5 ↑ Aristote, Métaphysique, X, 7, 1057 a 26.
  • Voir aussi : De Libéra, A., La querelle des universaux, de Platon à la fin du Moyen Âge, Seuil, Paris, 1996.

→ accident, catégorie, définition, différence, différence spécifique, espèce, nominalisme, prédicable, propre, réalisme, universaux

Esthétique

Ensemble formé par les propriétés non contingentes communes à une classe d'œuvres littéraires ou artistiques.

La notion de genre appartient d'abord à la poétique, comprise depuis Aristote comme l'étude des faits verbaux artistiques. En tant que telle, elle se trouve avoir été étroitement liée à la réflexion sur la littérature. S'il est indéniable que certains genres peuvent être tenus, à une époque donnée, pour constitutivement littéraires (tel le roman aujourd'hui)(1), il s'en faut pourtant que la question des genres recouvre celle de la littérarité. La mise en œuvre et la perception de traits d'ordre générique mobilisent en effet des catégories et des processus cognitifs qui, par delà le domaine des œuvres littéraires, ouvrent sur une typologie générale des discours.

C'est bien ce qu'indique déjà la distinction aristotélicienne entre « récit » (diègèsis) et « représentation dramatique » (mimésis), dans la mesure où ces deux modes d'énonciation définissent pour partie le cadre pragmatique dans lequel s'insère l'énoncé(2). De fait, comme J.-M. Schaeffer l'a montré(3), le statut générique de tout énoncé est nécessairement déterminable en fonction des choix inhérents à l'acte locutoire dont il est le produit : outre le mode d'énonciation (à travers l'opposition entre récit et représentation dramatique, mais aussi entre récit factuel et récit de fiction), ils concernent le pôle du destinataire (le destinataire d'une lettre est déterminé, celui d'un récit de fiction ne l'est pas, tandis que le roman par lettres se construit sur la dissociation entre destinataire fictif et destinataire réel) et la dominante illocutoire (l'énoncé effectue-t-il une description ? une demande ? une menace ?, etc.).

À la différence des précédents, les choix que font intervenir les autres aspects génériques ne sont ni constituants ni obligatoires : ils en appellent à des modèles formels et thématiques qui ou bien font l'objet de prescriptions explicites (règles de la poésie à formes fixes, de la tragédie française classique), ou bien donnent lieu à des relations directes d'imitation et de transformation (ou relations hypertextuelles) entre des œuvres singulières(4). Dans l'un et l'autre cas, ces règles normatives peuvent être modulées et même violées sans que la référence au modèle cesse d'être perçue. C'est à ces règles que se rapportent les prescriptions de la rhétorique classique régissant les rapports entre les « styles » (soutenu, médian, familier) et les trois grands « genres » de l'éloquence, que sont les genres judiciaire, délibératif et démonstratif ; c'est d'elles que participent les divers « arts poétiques » qui ont fait autorité jusqu'au seuil de l'époque des modernités, et c'est sur l'obsolescence de ceux-ci que s'est construit le credo moderniste (soutenu en France par Blanchot) d'une fin des genres.

Enfin, des travaux comme ceux de A. Jolles (sur les « formes simples »)(5), de E. Staiger (sur les « tonalités affectives »)(6), de N. Frye (sur les « modes thématiques »)(7) ont particulièrement contribué à isoler une quatrième famille de parentés génériques : alors que les parentés pragmatiques ou normatives correspondent à des choix auctoriaux et sont donc causalement motivées, celles-ci reposent sur l'extraction des ressemblances « objectives », formelles ou surtout thématiques, que présentent des œuvres pouvant appartenir à des traditions très éloignées dans le temps et dans l'espace. Comme celle des constantes pragmatiques, bien que d'une manière différente, l'existence de constantes thématiques qui ne seraient pas historiquement déterminées pose la question des universaux. Quoi qu'il en soit, la diversité, l'hétérogénéité et la variabilité des aspects sémiotiques sur lesquels reposent les catégories génériques s'opposent aussi bien aux tentatives de formalisation systématique (comme celle entreprise par Hegel dans ses Leçons d'esthétique) qu'aux descriptions qui assimilent les genres à des causes agissantes dotées d'une autonomie et d'une « vie » propres (Brunetière).

Les mêmes observations vaudraient sans doute pour les différents genres liés aux arts non verbaux, tels que la peinture, la sculpture, la musique, la danse, etc., qui ne connaissent vraisemblablement que les règles normatives. On remarquera seulement à ce propos que la réflexion sur les genres artistiques a été longtemps obérée par les orientations de la poétique classique : les distinctions entre les différents genres picturaux, qui devaient aboutir à une « hiérarchie » restée indiscutée jusqu'au xixe s., n'ont pu prendre effet que dans le contexte d'une culture humaniste qui faisait de la littérature le paradigme de référence de la peinture (ut pictura poesis).

Liée très longtemps à la poétique et à la rhétorique, la notion de genre a été renouvelée par les développements de la pragmatique et reçoit un nouvel éclairage des recherches sur les opérations classificatoires induites par la perception.

Bernard Vouilloux

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Genette, G., Fiction et Diction, Seuil, Paris, 1991, pp. 11-40.
  • 2 ↑ Genette, G., Introduction à l'architexte, Seuil, Paris, 1979, p. 17.
  • 3 ↑ Schaeffer, J.-M., Qu'est-ce qu'un genre littéraire ?, Seuil, Paris, 1989.
  • 4 ↑ Genette, G., Palimpsestes, Seuil, Paris, 1982.
  • 5 ↑ Jolies, A., Formes simples (1930), Seuil, Paris, 1972.
  • 6 ↑ Staiger, E., Grundbegriffe der Poetik, Zurich, 1946.
  • 7 ↑ Frye, N., Anatomie de la critique (1957), trad. Gallimard, Paris, 1969.
  • Voir aussi : Combe, D., Les genres littéraires, Hachette éducation, Paris, 1992.
  • Hamburger, K., Logique des genres littéraires (1957), trad. Seuil, Paris, 1986.
  • Molino, J., « Les genres littéraires », in Poétique, 1993, pp. 3-28.
  • Todorov, T., Les genres du discours, Seuil, Paris, 1978.

→ pragmatique, roman, style