style

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin stilus, « instrument en forme de pointe », en particulier le poinçon servant à écrire ; puis un « exercice écrit » et une « façon d'écrire ».

Esthétique

Notion centrale de la rhétorique, puis de la critique littéraire, qui a été étendue à d'autres moyens d'expression et dont la définition est toujours discutée.

Depuis l'Antiquité jusqu'au xviiie s., la rhétorique, en tant qu'art (technè, ars) de la parole, inscrit le style dans une visée poéticienne, étant entendu que la poétique, conformément à son institution aristotélicienne, est une théorie de la production langagière considérée sous l'angle des types génériques. Les valeurs d'usage fédérées par le champ du style se règlent sur la définition de la rhétorique comme discipline qui enseigne à produire des énoncés (à discourir) d'après des modèles canoniques. Est donc rhétorique une conception du style qui en mesure judicativement la valeur sur des échantillons, qui en analyse techniquement les moyens à l'aide d'outils descriptifs et qui en fixe socialement le cours parmi les usages reçus.

Les genres de discours (genera dicendi), qui deviendront les « caractères » ou les « styles » des traités des xviie et xviiie s., sont au nombre de trois : le relevé, le moyen et le bas. Ils sont différenciés essentiellement sur les plans du référent et / ou du lexique, ces deux plans pouvant être reliés l'un à l'autre par la loi de convenance qui prescrit que l'on parle noblement de choses nobles et trivialement de choses triviales, compte tenu des propriétés qui caractérisent les instances émettrice (qui parle ?) et réceptrice (à qui ?) et de la situation de communication dans laquelle s'inscrit le discours (où ? quand ?). C'est l'extension de cette même loi qui dictera l'emploi d'un genre de discours approprié au genre littéraire retenu, soit – pour les corrélations le plus couramment admises à l'âge classique – le style élevé pour la tragédie, le style moyen pour la comédie, le style bas pour la « satyre ». La Renaissance voit cependant le transfert de la notion de style à d'autres arts que celui du langage, au premier chef les arts visuels et la musique, où s'imposent des concepts comme ceux de maniera ou de modi.

Le processus sera complètement achevé dans la seconde moitié du xviiie s., ainsi que le signale l'emploi, plus ou moins homogène, qui est alors fait du terme ; mais cette étape manifeste autant la généralisation triomphante de la problématique rhétorique, qui restera encore prégnante tout au long du xixe s., que l'émergence d'une conception qui finira par la supplanter. Dans cette seconde grande phase de son histoire conceptuelle, le style relève d'une visée esthétique : la (re)connaissance des styles met en jeu les savoirs et les opérations constitutifs de la relation que l'instance de réception entretient avec les œuvres. L'objectif pédagogique que présuppose cette approche, quel que soit le registre (profane ou savant) où elle s'exerce, n'est plus d'apprendre à produire d'après des modèles, mais d'apprendre à recevoir (à lire, à voir, à écouter) sur des exemples. Là où auparavant les formes ayant cours dans un champ de pratiques étaient évaluées en référence à un corps de prescriptions canoniques et à des modèles préexistants, il est admis que le critère de légitimité réside désormais dans les possibilités ouvertes par les formes nouvelles.

La réflexion contemporaine sur l'esthétique et la relativisation des contextes historiques ont donné une acuité nouvelle aux questions que pose la notion de style. Parmi les plus insistantes : est-il possible de concevoir une théorie générale du style, comme y invitent certains auteurs (Goodman, Granger), ou doit-on se résigner à admettre qu'il ne peut y avoir que des champs stylistiques particuliers régis par des problématiques disciplinaires (la stylistique pour les textes littéraires, les « grammaires du style » en histoire de l'art) ? Sous quelles conditions une théorie du style pourrait-elle inclure d'autres supports que les artefacts à visée esthétique (textes administratifs, scientifiques, objets industriels, attitudes individuelles, types de raisonnements...) ? Si le style est coextensif à la mise en œuvre d'un matériau, quels rapports établir entre les marqueurs stylistiques et les structures formelles (sonnet, forme sonate) et génériques (roman réaliste, peinture d'histoire), et quel statut donner à des concepts comme ceux de « style d'époque » ou de « style collectif » ? L'identification d'un style suppose-t-elle un savoir sur l'origine historique, sociale, psychologique ou technique des œuvres ? Son appréhension implique-t-elle toujours une appréciation subjective ou une évaluation fondée sur des critères, autrement dit s'agit-il d'une qualité réservée à certaines œuvres, ou bien d'une propriété neutre, toute production symbolique possédant nécessairement un style ?

Émancipée de l'horizon normatif des rhétoriques classiques et des arts d'écrire, la notion de style peut désormais être comprise comme l'un des outils majeurs dont nous disposons pour caractériser les « ressemblances de famille » (Wittgenstein) que nous percevons entre des objets ou des phénomènes, naturels ou artificiels.

Bernard Vouilloux

Notes bibliographiques

  • Focillon, H., Vie des formes (1943), rééd. PUF, Quadrige, Paris, 6e éd., 1996.
  • Genette, G., « Style et signification », Fiction et Diction, Seuil, Paris, 1991, pp. 95-151.
  • Goodman, N., Manières de faire des mondes (1978), chap. « Le statut du style », trad. J. Chambon, Nîmes, 1992, pp. 37-58.
  • Goodman, N., « Question de style » (1984), in l'Art en théorie et en action, trad. Éd. de l'Éclat, Paris, 1996, pp. 37-43.
  • Granger, G. G., Essai d'une philosophie du style (1968), Odile Jacob, Paris, 1988.
  • Molino, J., « Pour une théorie sémiologique du style », in Qu'est-ce que le style ?, Actes du Colloque international de la Sorbonne, 9-11 octobre 1991, sous la direction de G. Molinié et P. Cahné, Paris, 1994, pp. 213-261.
  • Schapiro, M., « La notion de style » in Style, artiste et société, trad. Gallimard, Paris, 1982.
  • Schaeffer, J.-M., « La stylistique littéraire et son objet », in Littérature, 105, « Questions de style », 1997, pp. 14-23.
  • Vouilloux, B., « Pour une théorie descriptiviste du style. Note sur deux propositions de Nelson Goodman », in Poétique, 114, 1998, pp. 233-254.
  • Vouilloux, B., « Les styles face à la stylistique », in Critique, 641, 2000, pp. 874-901.

→ esthétique, genre