espèce

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin species, « vue », « aspect », d'où, par rapprochement avec le grec eidos, « espèce ».

Philosophie Antique, Philosophie Médiévale

En biologie, ensemble d'êtres vivants constituant un type héréditaire. Au sens logique, « espèce » désigne une classe incluse dans une autre classe de moindre compréhension : le genre. L'espèce est un des cinq universaux ou prédicables.

Le genre et la différence spécifique constituent la définition de l'espèce(1), par exemple, l'espèce « homme » se définit comme « animal » (genre) « raisonnable » (différence spécifique). L'espèce est le résultat d'une différenciation du genre, sans pour autant être elle-même différence. Bien qu'il utilise pour désigner l'espèce le terme eidos, qui, chez Platon, désigne l'Idée, ou forme, Aristote ne la considère, en aucun cas, comme entité séparée. Comme le genre, l'espèce est « substance seconde », puisqu'elle se prédique de manière essentielle de la substance première (l'individu), mais elle en fournit une connaissance plus précise. Elle est le substrat du genre, et non l'inverse, elle est donc plus substance que lui(2). Cette hiérarchie entre genre et espèce apparaît de manière plus claire encore avec Porphyre, qui fait figurer l'espèce parmi les cinq prédicables(3).

Annie Hourcade

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Métaphysique, X, 7, 1057 b 7.
  • 2 ↑ Aristote, Catégories, 5, 2 b 10-22.
  • 3 ↑ Porphyre, Isagoge, II, 6 (arbre de Porphyre) ; II, 14.
  • Voir aussi : Sénèque, Lettre à Lucilius 58, 9-10.

→ catégorie, définition, différence spécifique, genre, prédication

Philosophie des Sciences

En logique, classe d'objets ; en biologie, rang taxinomique.

Aristote utilise le terme d'eidos à la fois comme instrument de hiérarchisation des universaux (classe logique), mais aussi comme principe formateur assurant la permanence généalogique. L'espèce est donc une réalité logique et matérielle reposant sur la forme.

Face à ces conceptions essentialistes, héritées en partie de l'idea platonicienne vont se développer des conceptions nominalistes à partir des idées de Guillaume d'Occam. Citons, parmi ses nombreux continuateurs, les philosophes Hume (1711-1776) et Condillac (1714-1780). Pour le nominalisme, les espèces n'existent pas dans la nature, elles ne sont que des constructions artificielles.

Pour J. Ray (fin du xviie s.), affirmant l'existence de groupes « naturels » entre lesquels il « existe des similitudes naturelles », le seul critère d'appartenance à la même espèce est la « propagation de traits distinctifs » grâce à la reproduction.

Buffon complète la définition de Ray et élabore le critère mixiologique de l'espèce (1749) : sont de la même espèce deux individus dont les descendants sont féconds. L'espèce devient ainsi une entité historique, mais ne reflétant pas d'ordre naturel.

Bien qu'admettant l'espèce comme une étape d'un processus évolutif, le généticien Dobzhansky(1) (1935) et le zoologiste Mayr (1942) en donnent une définition « opérationaliste » : « groupe de populations naturelles interfécondes et reproductivement isolées d'autres groupes »(2).

Pour le paléontologue Simpson (1945), « une espèce évolutive est une lignée (séquence généalogique de descendants-ancêtres) de population évoluant de manière séparée avec des tendances évolutives propres »(3).

Le concept écologique, définissant les contours des espèces par rapport à leurs niches écologiques, n'eut guère de succès.

En 1997, on dénombrait 22 concepts d'espèces(4)... signe de l'incommensurabilité du vivant ?

Cédric Crémière

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Dobzhansky, Th., « A Critique of the Species Concept in Biology », in Philosophy of Science, 1935, 2 : 344-355.
  • 2 ↑ Mayr, E., Systematics and the Origin of Species. Columbia University Press, New York, 1942.
  • 3 ↑ Simpson, G. G., « The Principles of Classification and a Classification of Mammals », in Bulletin of the American Museum of Natural History, 1945, 85 : 1-350.
  • 4 ↑ Claridge, M. F., Dawah, H. A., Wilson, M. R., Species. « The Units of Biodiversity », in The Systematics Association Special Volume Series 54, Chapman and Hall, London etc., 1997.
  • Voir aussi : Bocquet, C., Genermont, J., Lamotte, M. (dir.), les Problèmes de l'espèce dans le règne animal, Société zoologique de France, Paris, t. I, II, III, « Mémoires de la Société zoologique de France », nos 38, 39, 40 : 1976-1978.
  • Dobzhansky, T., Genetics and the Origin of Species, Columbia University Press, New York, 1937.
  • Mayr, E., Ashlock, P. D., Principles of Systematic Zoology (1969), 2e édition, New York, McGraw-Hill, 1991.
  • Roger, J., Fischer, J.-L. (dir.), Histoire du concept d'espèce dans les sciences de la vie. Colloque international, Paris, 1985, Éditions de la fondation Singer-Polignac, Paris, 1987.

→ classification, darwinisme, système