éthique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec ethos, « mœurs », « mode de vie commun ».

Philosophie Générale, Morale

1. Partie de la philosophie qui étudie les fins pratiques de l'homme, c'est-à-dire les conditions individuelles et collectives de la vie bonne. – 2. Doctrine spécifique déterminant le contenu de cette bonté ainsi que le contenu normatif des règles permettant sa réalisation. – 3. Conscience des règles et des valeurs qui guident la pratique d'un groupe déterminé (éthique des affaires, du droit, du journalisme, etc.).

Dans la philosophie grecque et hellénistique, l'éthique est une des parties de la philosophie : à côté de la physique (qui traite de la nature) et de la logique ou canonique (qui traite des règles de la pensée), l'éthique concerne la conduite de la vie humaine en tant qu'elle est orientée par la recherche du bien. D'après Diogène Laërce, Socrate est d'un des premiers penseurs grecs à s'être détourné de la physique pour consacrer l'essentiel de son attention à l'éthique(1). Cette dernière est alors conçue comme une sagesse pratique qui ne vise pas seulement le savoir de ce qui est (objet de la physique), ni le savoir de ce qui est vrai (objet de la logique) : doit-on donc considérer que l'éthique vise pour sa part le savoir de ce qui est bon, ou faut-il aller plus loin et considérer qu'elle détermine le bon dans la recherche de ce qui doit être ? Cette question est au fondement de l'équivocité de l'éthique : elle est le lieu d'une tension constante entre la description et la prescription, ou entre les conditions subjectives de la détermination de la volonté, et les conditions objectives de la valeur d'une norme.

Si l'on choisit de mener à son terme une enquête en direction des conditions « objectives » de la validité d'une norme morale, l'éthique rejoint la science générale de l'être. Ainsi chez Spinoza « nul ne peut avoir le désir de posséder la béatitude, de bien agir et de bien vivre, sans avoir en même temps le désir d'être, d'agir et de vivre, c'est-à-dire d'exister en acte »(2).

L'éthique est alors pensée comme indissociale d'une ontologie. Si, au contraire, on se concentre sur les formes singulières des prescriptions, alors la construction d'une science de l'éthique change de sens : elle devient science descriptive des mœurs, par exemple chez J. S. Mill, qui nomme « éthologie » la science descriptive des formes de moralité singulières et normatives(3).

Il faut donc distinguer au moins trois sens possibles pour une éthique : science absolue du bien en tant qu'il s'identifie à l'être, science relative des biens en tant qu'ils déterminent concrètement l'action des hommes, et science normative des fins que l'on doit prescrire aux hommes. Cette stratification est encore compliquée par le recouvrement progressif de deux vocables (éthique, issu du grec, et morale, issu du latin).

Cependant cette distinction de l'éthique et de la morale peut aussi servir à articuler le plan de la conception du bien à celui de la prescription des normes. Ainsi, raisonnant du point de vue de la question de la nature et de l'origine des normes juridiques, Kelsen est amené à construire une articulation épistémologique entre éthique et morale : « on ne saurait nier qu'il existe une science ayant pour objet la morale en tant que système de normes, que cette science a pour nom « éthique », et que cette science, comme toute autre science, s'adresse à notre savoir, tandis que son objet, la morale, en tant que système de normes, s'adresse à notre vouloir »(4). Cette conception parvient ainsi à faire de l'éthique une science à la fois descriptive et normative, en ce qu'elle a pour tâche d'expliciter les normes fondamentales qui se présentent comme conditions de validité des normes particulières qu'exige la morale lorsqu'elle rapporte les actes de la volonté à des objets déterminés. L'éthique est alors la fondation intellectuelle d'un acte de la volonté dans le calcul des conditions objectives de sa validité morale.

Or, par ailleurs, l'objectivation de l'éthique, prise comme science descriptive des contenus des normes empiriques du vivre-ensemble, a finalement tenté de rompre le lien entre une science de l'éthique qui culminerait dans une science de l'être d'une part, et d'autre part la prescription concrète de devoirs et d'obligations s'imposant à des sujets déterminés historiquement et politiquement, établissant ainsi la distinction entre éthique (normative ou appliquée) et méta-éthique (ou fondement philosophique de l'éthique en tant qu'il concerne la définition même du bien, du juste et du devoir, sans qu'aucun contenu positif ne soit assigné à ces valeurs). Ainsi la méta-éthique est une science pure de l'éthique, qui se détourne des contenus matériels de l'éthicité concrète pour en donner une lecture formelle à laquelle seule la philosophie peut prétendre – avec cette conséquence ultime qu'en retour la philosophie de l'éthique risque désormais de ne plus pouvoir prétendre qu'à cette formalité(5).

Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, tr. R. Genaille, GF, Paris, 1965, vol. I, p. 110.
  • 2 ↑ Spinoza, B., Éthique, IV, 21, tr. Ch. Appuhn, GF, Paris, 1965, p. 239.
  • 3 ↑ Mill, J. S., Système de logique déductive et inductive (1843), VI, 5, Ladrange, Paris, 1866.
  • 4 ↑ Kelsen, H., Théorie générale des normes (1979), PUF, Paris, 1996, note 99, p. 456.
  • 5 ↑ Williams, B., L'éthique et les limites de la philosophie (1985), Gallimard, Paris, 1990.

→ bien, droit, éthique de responsabilité / éthique de conviction, fin et moyen, morale, moralité, norme, vertu

Philosophie de la Renaissance

L'éthique se caractérise, à la Renaissance, par une réflexion sur la nature morale de l'homme qui souligne sa position centrale dans l'univers d'une part, et par la conception positive de sa condition mondaine, de l'autre. Le premier aspect se traduit par le concept de la dignité de l'homme, sujet de nombreux traités (de Pétrarque à Pic de la Mirandole). La moralité de l'homme est définie par sa position médiane dans le cosmos : ni bête, ni ange, il peut aussi bien s'élever que s'abaisser. C'est cette indétermination qui constitue sa dignité, son caractère exceptionnel, comme le souligne Pic(1) dans son Oratio de hominis dignitate (1486) : la possibilité de faire tant le bien que le mal est le signe de la liberté humaine et de son indépendance à l'égard du destin ou de la nécessité naturelle. La moralité de l'homme tient à son pouvoir de se métamorphoser, d'être un « caméléon ». C'est ainsi que la condition mortelle n'est pas seulement un passage vers la félicité éternelle : elle est, au contraire, l'occasion de donner un sens individuel à sa propre existence et d'acquérir la gloire ou la renommée qui sont les formes mondaines du salut. C'est alors la reconnaissance publique, auprès des contemporains ou de la postérité, qui devient le critère du jugement moral, et qui caractérise l'éthique comme essentiellement politique. « La philosophie morale est nôtre », souligne L. Bruni(2), dans son Isagogicon moralis disciplinae, à la différence de la philosophie de la nature : c'est la communauté des hommes qui établit les règles de leur conduite, laquelle ne concerne pas tant la maîtrise de soi que la participation aux affaires publiques. La première vertu de l'homme moral est donc l'engagement dans la vie de la cité, alors que l'isolement de l'homme de lettres ou l'austérité de la vie monastique sont considérés comme un acte d'égoïsme.

Fosca Mariani Zini

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Pic de la Mirandole, De hominis dignitate, en. fr. dans : Pic, Œuvres philosophiques, trad. O. Boulnois et G. Tognon, Paris, 1993.
  • 2 ↑ Bruni, L., Opere letterarie e politiche, éd. P. Viti, Turin, 1996.
  • Voir aussi : Baron, H., In Search of florentin civic Humanism, Princeton, 1988.
  • Senellart, M., Les Arts du gouverner, Paris, 1995.
  • Skinner, Q., The Foundations of Modern Political Thought, Cambridge, 2 vol., 1992 (5e édition).
  • Struever, N., The Language of History in the Renaissance, Princeton, 1970.

→ active / contemplative (vie), action, bien, bonheur, humanisme, libre arbitre




éthique de responsabilité / éthique de conviction


Traduction de l'allemand Verantwortungsethik / Gesinnungsethik.

Sociologie

Opposition conceptuelle d'origine wébérienne servant à penser l'écart entre les réquisits du pouvoir et les exigences de la morale.

La différence entre « éthique de responsabilité » et « éthique de conviction » est exposée de manière systématique dans la conférence sur « Le métier et la vocation de politique »(1). L'éthique de responsabilité, que Weber avait nommée « éthique du pouvoir » (Machtethik) dans le premier brouillon de cette conférence(2), est celle qui convient à l'homme politique, dans la mesure où il doit prendre en compte les conséquences prévisibles de ses actes. Elle s'oppose à l'éthique de conviction, dont le paradigme est, selon les textes, l'éthique chrétienne consignée dans le Sermon sur la montagne, ou l'éthique du « syndicaliste », c'est-à-dire du militant convaincu de la justesse de ses fins et indifférent aux effets pervers des moyens qu'il met en œuvre pour les réaliser.

L'opposition établie par Weber entre éthique de responsabilité et éthique de conviction s'inscrit dans le cadre d'une réflexion sur la tension qui existe entre, d'une part, la logique immanente à la sphère d'action politique et, d'autre part, les exigences « acosmiques » de l'éthique de fraternité des religions de salut(3). Elle a été généralement banalisée dans le sens d'une reprise, en termes modernes, du thème machiavélien de l'amoralisme de la politique, voire comme une concession de Weber à la realpolitik, c'est-à-dire à une attitude politique opportuniste, parce qu'exclusivement guidée par la quête du pouvoir. Weber toutefois avait explicitement critiqué la realpolitik, entendue comme une politique réglée sur les chances de succès éphémères offertes par les conjonctures, et il avait distingué de celle-ci la « politique réaliste », compatible avec le respect de valeurs fondamentales, quoique soucieuse des conditions concrètes de leur réalisation(4). Sur la foi de ces textes, certains auteurs se sont employés à démontrer que l'éthique de responsabilité et l'éthique de conviction ne constituaient pour lui que des concepts-limites désignant les deux pôles possibles de l'action engagée, étant entendu que toute action concrète participe toujours, selon des proportions variables, de l'une et de l'autre(5).

Catherine Colliot-Thelene

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Weber, M., « Politik als Beruf » (1910), in Gesammelte Politische Schriften, J. C. B. Mohr, 1988, pp. 505-560, trad. le Savant et le politique, 10 / 18, Paris, 1998, pp. 166-180.
  • 2 ↑ Colliot-Thelene, C., « Éthique de la responsabilité, éthique du pouvoir ? », in De quoi sommes-nous responsables ?, Le Monde éditions, Paris, 1997.
  • 3 ↑ Outre la conférence sur « Le métier et la vocation de politique », cf. « Considération intermédiaire », in Weber, M., Sociologie des religions, Gallimard, Paris, 1996, pp. 424-426.
  • 4 ↑ « Der Sinn der “Wertfreiheit” der soziologischen und ökonomischen Wissenschaften » (1917), in Weber, M., Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre, J. C. B. Mohr, 1988, pp. 513-515, trad. « Essai sur le bon sens de la “neutralité axiologique” dans les sciences sociologiques et économiques », in Essais sur la théorie de la science, Plon, Paris, 1965, pp. 437-440.
  • 5 ↑ Schluschter, W., « Gesinnungsethik und Verantwortungsethik », in Religion und Lebensführung, Suhrkamp, Francfort, 1996.

→ engagement, espace public, éthique, responsabilité