bien

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


De l'adverbe latin : bene.

Philosophie Générale, Philosophie Antique

Fin ultime poursuivie par l'homme.

Le bien procure le bonheur le plus stable, ne laissant plus rien à désirer : « C'est en effet [...] par la possession des choses bonnes que les gens heureux sont heureux. Et il n'y a plus lieu à demander en outre : “En vue de quoi souhaite-t-il d'être heureux, celui qui le souhaite ?” Tout au contraire, c'est à un terme ultime que semble toucher la réponse en question »(1).

Il est cependant manifeste qu'il existe différents biens, selon qu'ils concernent le corps ou l'âme (qui, de surcroît, comporte plusieurs parties pour Platon). Contre cette dispersion, les stoïciens, par exemple, affirment l'exigence de l'unité de la tendance au bien que vise l'homme : « [...] tu peux saisir la nature du souverain bien : il doit être, pour ainsi dire, touché du doigt et ne point être éparpillé en une multitude d'objets. À quoi sert en effet de le morceler quand on peut dire : le souverain bien, c'est l'honnête »(2). C'est alors l'âme qui assume le rôle de principe fondamental d'unité.

Tout le problème réside dans l'interprétation de cette recherche de l'unité du Bien. À quel modèle l'âme peut-elle se conformer pour viser le principe du bien derrière ses figures diffractées ? Il faut ici se référer au passage décisif de la République dans lequel Platon énonce que la multiplicité se rapporte d'une façon ultime à l'unité de l'idée du Bien : « de lui [les connaissables] reçoivent en outre et l'existence et l'essence, quoique le Bien ne soit pas essence, mais qu'il soit encore au-delà de l'essence, surpassant celle-ci en dignité et en pouvoir »(3). Ce texte a donné lieu, parmi les néo-platoniciens, à la thèse selon laquelle le Bien est une hypostase, qui dépasse même sa représentation intelligible. Plotin cite fréquemment ce texte de Platon et affirme que l'un est le principe dynamique de l'intelligence, qui fait que l'intelligence a des objets auxquels se rapporter selon l'unité de son élan : « Le Bien est principe ; et c'est de lui que l'intelligence a en elle les êtres qu'elle a produits »(4).

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Banquet, 205 a, trad. Robin, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1950.
  • 2 ↑ Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre 71, trad. Bréhier, in Les Stoïciens, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1962, pp. 777-778.
  • 3 ↑ République, VI, 509 b, trad. Robin in éd. citée.
  • 4 ↑ Plotin, Ennéades, VI, 7, § 15, trad. Bréhier, Les Belles Lettres, Paris, 1989.

→ béatitude, néoplatonisme, platonisme, stoïcisme

Philosophie Médiévale

Aristote n'avait pas énoncé que l'être et le bien sont équivalents (convertibles), mais seulement que le bien s'énonce de façon multiple, parallèlement à la diversité des sens de l'être(1). À la suite de saint Augustin (et peut-être dans le même contexte de lutte contre le manichéisme, c'est-à-dire contre le catharisme, au début du xiiie s.), les médiévaux soutiennent que toute chose, en tant qu'elle est, est bonne (parce que, comme l'avait rappelé Boèce, elle participe du Bien premier qui donne l'être). Ils théorisent ce lien dans le cadre de la doctrine des transcendantaux. Le bien et l'être ne diffèrent pas en réalité (et donc l'Un-Bien ne se trouve pas au-delà de l'être) mais seulement pour la raison. Autrement dit, la détermination de bonté ne s'ajoute pas réellement à celle d'être, elle exprime une caractéristique qui n'est pas immédiatement lisible dans la notion d'être, celle d'être désirable. Le bien est en effet ce qui est objet d'un appétit, comme l'avait lui-même défini Aristote(2). Cependant, la bonté ne peut se réduire à un rapport de convenance, mais doit désigner également quelque chose d'absolu, de non-relatif, dans l'être bon, surtout s'il s'agit de Dieu. Cela n'empêche pas que ce dernier agisse en tant que tel, c'est-à-dire se propose comme objet ultime de tout désir : sa nature est de se communiquer, d'être diffusivum sui selon la formule empruntée au pseudo-Denys l'Aréopagite. Mais cette diffusion est en fait une attraction, car il crée justement comme cause finale, et la réalité de la relation n'est posée que du point de vue de l'effet qui vient à lui. La transcendance du Bien est ainsi sauvegardée, comme dans le néoplatonisme proclusien, source d'ailleurs reconnue de cette métaphysique médiévale : « Car c'est parce qu'ils sont ce qu'ils [les dieux] sont qu'ils rendent bonnes toutes réalités, puisque tout ce qui crée par son être crée sans contracter de relation »(3).

Jean-Luc Solère

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4, 1096 a 23-24.
  • 2 ↑ Ibid., I, 1, 1094 a 2.
  • 3 ↑ Proclus, Éléments de théologie, 122.
  • Voir aussi : Solère, J.-L., « Une passion de l'être. Les discussions sur le bien transcendantal... », in Fine Follie, ss. la dir. de B. Pinchard, H. Champion, Paris, 1995.

→ transcendantaux

Philosophie de la Renaissance

Bien que, dans l'Europe chrétienne, le bien le plus précieux consiste dans la contemplation de Dieu, émerge progressivement une réévaluation des biens mondains et principalement du bien commun. Un indice de cette évolution est la discussion sur les biens matériels : tout en reconnaissant, comme C. Salutati(1), que ces biens peuvent mener à l'avarice, beaucoup d'humanistes en soulignent la nécessité pour la conduite d'une vie droite, mais aussi pour l'exercice de deux des vertus qui caractérisent le bon mécène (dont ils dépendent) : la largesse et la magnificence. Même un platonicien comme C. Landino(2) reconnaît que si l'exercice de la vertu est la source du bonheur, la possession des biens matériels rend la vie encore plus heureuse. Ce qui prime, dans cette nouvelle attention pour l'existence mondaine, est le refus de concevoir le bien sous les espèces du sacrifice, de l'austérité et de la mutilation des passions. Le bien ne peut pas être uniquement l'exercice de la vertu. C'est pourquoi l'idéal médiéval de la vie monastique et le modèle du sage stoïcien sont critiqués : ceux-ci sont même accusés d'arrogance, car ils conçoivent un idéal qui ne peut pas exister, l'homme étant composé de corps et d'âme. Par conséquent, les humanistes empruntent des aspects de l'épicurisme, considérant le plaisir, sensible et intellectuel, comme un bien nécessaire, qui doit accompagner l'exercice de la vertu. Émerge alors l'exigence de considérer l'homme comme un être naturel pour qui la vertu elle même doit être subordonnée au plaisir, lequel se traduit par l'instinct de fuir le maux et de rechercher les biens sur le plan de sa survie, position défendue, d'un point de vue matérialiste par B. Telesio(3). Ce naturalisme se retrouve chez L. Valla(4), qui cherche à intégrer le plaisir dans la spiritualité chrétienne, critiquant radicalement la mortification de la vie monastique et le sacrifice des passions propre à la conduite stoïcienne.

Par conséquent, pour les humanistes, le bien véritable n'est pas le bien de l'homme isolé, maître de soi, mais le bien propre à l'homme mortel, union d'âme et de corps, et surtout être naturellement intégré dans un monde commun, essentiellement politique. Le bien véritable est donc le bien commun, établi et partagé par une communauté. Cette politisation du bien se traduit dans l'idéal de la « liberté républicaine », telle qu'on la trouve chez L. Bruni et ses partisans (jusqu'à N. Machiavel(5)) et qui signifie la liberté partagée des citoyens dans une cité libre de choisir ses institutions et ses représentants : dans ce cadre, la gloire de l'individu se convertit aussitôt dans celle de la cité : la vertu est en effet l'explicitation d'un acte politique qui a des effets sur la vie collective. C'est ainsi qu'elle perd progressivement sa signification de valeur, pour s'identifier, chez N. Machiavel, avec l'efficacité et le succès d'une action finalisée. En ce sens, l'éthique banalisée du juste milieu aristotélicien est critiquée : L. Valla souligne que les extrêmes sont souvent préférables, et que le juste milieu peut être un vice, une fade mediocritas, médiocrité.

Fosca Mariani Zini

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Salutati, C., De laboribus Herculis, éd. B.L. Ullman, 2 vol., Zurich, 1951.
  • 2 ↑ Landino, C., Disputationes camaldulenses, éd. P. Lohe, Florence, 1980.
  • 3 ↑ Telesio, B., De rerum natura juxta propria principia, Naples, 1586 (= Hildesheim, 1971).
  • 4 ↑ Valla, L., De vero et falsoque bono, éd. M. Panizza Lorch, Bari, 1970.
  • 5 ↑ Machiavel, N., Œuvres, trad. C. Bec, Paris, 1996.
  • Voir aussi : Baron, H., In Search of florentin civic Humanism, Princeton, 1988.
  • Kraye, J. (éd.), Cambridge Companion to Renaissance Humanism, Cambridge, 1986.
  • Senellart, M., Les Arts du gouverner, Seuil, Paris, 1995.
  • Skinner, Q., The Foundations of Modern Political Thought, Cambridge, 2 vol., 1992 (5e édition).

→ action, active / contemplative (vie), bonheur, éthique, humanisme, libre arbitre

Philosophie Moderne, Morale

Le bien coextensif à l'être et le bien comme fin

La Bible enseigne que Dieu est bon et que toutes les choses qu'il a créées sont bonnes (Genèse I, 31). Saint Augustin définit la relation de Dieu (principe unique de toutes choses) au monde créé comme celle du Bien au bien. Il distingue le Bien qui est « bien souverainement et par soi, qui ne l'est pas par la participation de quelque bien mais par sa nature et son essence propre » (Dieu) et un bien second et relatif qui « participe au bien et tient ce qu'il a du souverain bien, lequel n'en demeure pas moins le bien en soi et ne perd rien de soi » (la créature)(1). Cette conception relationnelle du bien lie nécessairement bien et être : Dieu, l'Être suprême et premier, est le Bien, la créature, être créé et second, est un bien. Conçu selon la terminologie scolastique comme transcendantal, c'est-à-dire comme attribut s'appliquant à tous les êtres, le bien est coextensif à l'être : chaque chose, écrit saint Thomas, « possède autant de bien qu'elle possède d'être », puisque « le bien et l'être sont équivalents »(2). Le bien peut s'entendre alors en deux sens : si tout être est bon en tant seulement qu'il est, il peut l'être aussi selon son degré d'accomplissement comme être parfait, achevé. Ainsi, « si quelqu'un vient à manquer de quelque chose [par exemple à l'homme la vue, ou le bonheur] qui soit dû pour la plénitude de son être, on ne dira pas qu'il est bon absolument, mais relativement, et en tant qu'il existe ». En ce second sens, le bien est plus que l'existence, il est la fin ou perfection ultime (ontologique mais aussi éthique) atteinte par un être. Le bien, entendu ici comme fin, est alors le « désirable », ce à quoi tendent tous les êtres.

Le bien comme valeur

Pour Spinoza, les notions de bien et de mal n'indiquent absolument rien de positif dans les choses : « modes d'imaginer »(3), elles révèlent la manière dont les choses nous affectent, nous sont utiles ou nuisibles. Nous ne désirons donc pas une chose parce qu'elle est bonne (selon la définition scolastique), mais la jugeons bonne parce que nous la désirons. Bien et mal sont relatifs en un double sens : relatifs à l'état du corps de chacun, donc différents d'un homme à l'autre, mais aussi relatifs l'un à l'autre (un moindre mal sera dit bien par rapport à un mal plus grand et un bien empêchant la jouissance d'un bien supérieur sera dit mal). Ces notions doivent pourtant être conservées, une fois définies, non plus du point de vue de l'imagination mais selon la Raison : est nécessairement bon « ce que nous savons avec certitude nous être utile »(4), ce qui sert à la conservation de notre être, augmente ou seconde notre puissance d'agir et nous conduit à la connaissance ; est mauvais ce qui nous empêche d'acquérir un bien, nous rend moins actifs. Bien et mal, quoique toujours relatifs l'un à l'autre, ne le sont plus suivant les hommes : la Raison leur a donné un contenu objectif valable pour tous.

La réflexion éthique qui croit, au-delà de la relativité des valeurs, aboutir à la définition d'un bien « objectif », est selon Nietzsche victime d'un préjugé fondamental : « la croyance aux oppositions de valeurs »(5). Au-delà de tout dualisme, la question n'est plus « qu'est-ce que le bien et le mal ? » (question qui n'est pas une remise en cause de ces valeurs), mais devient : « dans quelles conditions l'homme a-t-il inventé les jugements de valeur bon et méchant ? Et quelle valeur ont-ils eux-mêmes ? »(6). Dans le cas de la morale des « puissants » – qui identifie bon à « noble », mauvais à « méprisable » – comme dans celui de la morale des « esclaves » – où bon est synonyme de « faible », méchant de « puissant » – c'est une certaine volonté de puissance qui est à l'œuvre et constitue telle ou telle hiérarchie de valeurs, selon que telle ou telle qualité (puissance ou faiblesse) est déclarée valeur suprême (« bien »).

La critique nietzschéenne ne vise pas à ruiner les valeurs, mais bien et mal doivent être interprétés dans le cadre du système axiologique qui leur donne sens. Celui qui pense la morale et interroge les valeurs est néanmoins celui qui doit, pour éviter les préjugés de son époque, se placer « à l'extérieur de la morale, [en] quelque par-delà bien et mal ». Alors bien et mal n'apparaîtront plus comme des antithèses figées.

Si la réflexion sur les valeurs est toujours d'actualité, la philosophie contemporaine ne semble aborder la question du bien que secondairement ou indirectement, notamment à travers le problème du mal.

Paul Rateau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Saint Augustin, Des mœurs des Manichéens, IV, 6, p. 263, t. 1, Desclée de Brouwer, Paris, 1949.
  • 2 ↑ Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ia IIae, q. 18 a. 1, conclusion.
  • 3 ↑ Spinoza, B., Éthique, 1ère partie, appendice, t. 1, Garnier, Paris, 1953, pp. 109 à 113.
  • 4 ↑ Ibid., IVe partie, définition 1, t. 2, p. 11.
  • 5 ↑ Nietzsche, F., Par delà le bien et le mal, I, § 2, Garnier-Flammarion, Paris, 2000, p. 48.
  • 6 ↑ Nietzsche, F., la Généalogie de la morale, Gallimard, Paris, 1971, p. 10.



bien suprême


En latin : summum bonum, « bien suprême », « souverain bien ».

Morale

Idée d'un maximum (en intensité ou quantité) et d'un optimum (le meilleur, l'excellence). C'est en même temps le bien le plus grand absolument (parfait) et relativement aux autres biens qui ne sont par rapport à lui que des moyens. Au sommet de la hiérarchie des biens, il ne peut être recherché que pour lui-même (c'est une fin en soi).

Le bien suprême n'est pas un bien, mais le Bien par excellence, vers lequel tendent toutes les activités humaines : pour Aristote, il n'est autre que le bonheur(1), fin parfaite se suffisant à elle-même. Le bonheur, que le Stagirite définit non comme une disposition ou un état, mais comme un acte, est une activité de l'âme en accord avec la vertu et, parmi les vertus, avec celle qui est la plus haute : l'activité théorétique ou contemplation. Alors que la vie conforme aux vertus morales ne procure qu'un bonheur de second rang (un bonheur humain), l'activité contemplative, qui est celle de ce qu'il y a de divin en l'homme (l'« intellect », noûs), produit une félicité parfaite, souverain bien dont nous ne pouvons jouir qu'à de brefs moments(2), mais dont Dieu jouit éternellement. Épicuriens et stoïciens assimilent également le souverain bien au bonheur, entendu (pour les premiers) comme l'« état d'une âme sans trouble » (ataraxie) et d'un « corps sans douleur » (aponie), et (pour les seconds) comme la félicité d'une âme vertueuse.

Le souverain bien désigne donc à la fois la fin dont on désire jouir et la possession ou jouissance de cette même fin. Ainsi, selon le premier sens, saint Thomas peut identifier le bien suprême à Dieu comme « fin dernière de l'homme » et selon le second, faire du bien suprême la béatitude elle-même, comme union de la créature à Dieu(3).

Pour Kant, l'erreur des « Anciens » a été de faire du souverain bien le principe suprême de la morale déterminant absolument la volonté, au lieu de la loi morale. Or le souverain bien ne consiste ni dans le bonheur, ni dans la vertu, pris séparément, mais dans leur accord, de telle sorte que celui qui s'est rendu digne du bonheur par sa conduite (en observant la loi morale) y participe dans la même mesure. Mais la raison ne peut se représenter le souverain bien comme possible qu'à condition de poser un monde moral et de postuler l'existence d'une cause suprême de la nature (Dieu), y assurant l'exacte proportion entre moralité et bonheur. Le souverain bien est ainsi « l'objet tout entier de la raison pure pratique »(4) et notre devoir est de travailler à sa réalisation dans le monde.

Paul Rateau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 2, 1095a, Vrin, Paris, 1990.
  • 2 ↑ Aristote, Métaphysique, A, 7, 1072b, Vrin, Paris, 1992.
  • 3 ↑ Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Q. 3 article 1, Cerf, Paris, 1997.
  • 4 ↑ Kant, E., Critique de la raison pratique, PUF, Paris, 1943, pp. 120 et 128.