Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le siècle léger et éternel de Charles Trenet

Fou chantant, poète lunaire, Charles Trenet a suscité de nombreux qualificatifs au cours d'une carrière qui a peint le siècle aux accents tristes et faussement joyeux de ses chansons.

Dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 février, Chartes Trenet s'est « éteint paisiblement » et a « rejoint le ciel et les étoiles », comme l'a indiqué son entourage, à l'âge de quatre-vingt-sept ans à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), des suites d'une attaque cérébrale. Ses cendres sont conservées dans le caveau familial de Narbonne.

Monter à Paris

Narbonne, où Trenet est né le 18 mai 1913. Il monte à Paris au début des années 1930. « Moi, je suis entré en enfance à dix-neuf ans, et je n'en suis plus sorti !... Avant, j'étais trop sérieux pour mon âge » (1971). Tout Trenet est là, qui porte en lui tout ce qu'il va devenir. Pourtant, c'est par des voies détournées, la peinture – il a suivi les cours de la Kunstgewerbeschule, une école d'arts plastiques renommée, à Berlin – et le cinéma – il devient assistant-metteur en scène-accessoiriste aux studios de Joinville –, qu'il parvient à la chanson. Car, pour lui, l'écriture est un geste naturel. Il rédige des ciné-romans pour des revues de cinéphilie populaire, puis écrit les chansons d'un film, Bariole, de Benno Vigny, son beau-père, réussit l'examen d'entrée à la SACEM (1933). Il rencontre un jeune Suisse athlétique, Johnny Hess, qui chante et joue du piano. Pourquoi ne pas monter un duo ? C'est la mode depuis qu'un duo de Noirs américains, Turner Layton et Charles Johnston, ont fait découvrir aux Parisiens que la musique noire constitue l'ossature de la variété, de Broadway à Paris. Le français pouvait donc swinguer. Sur ce modèle, des duos blancs se constituent dans toute l'Europe. Les duettistes se créent un répertoire. Charles écrit les paroles, Johnny les musiques. Ils enregistrent ensemble quinze 78 tours à partir de 1933, avec des chansons flamboyantes de jeunesse Sous le lit de Lili, Sur le Yang Tse-Kiang, Quand les beaux jours seront là, etc. Dès le duo avec Johnny Hess, Trenet est l'auteur et l'interprète de ses chansons, ce qui est nouveau. Pour Trenet, les mots et la musique forment un tout. De fait, il chantera rarement les chansons d'un autre. Les obligations militaires séparent Johnny de Charles. En 1936, au régiment, ce dernier confie Ya d'la joie à Maurice Chevalier ; elle connaît un immense succès. Quelques mois plus tard, Trenet enregistre ses premiers 78 tours en solo chez Pathé Marconi. En deux ans, Trenet place une série de chansons qui ne le quitteront plus : Je chante, Ya d'la joie, J'ai ta main, la Polka du roi, Vous oubliez votre cheval, Il pleut dans ma chambre, Boum, Ménilmontant, Les enfants s'ennuient le dimanche. En réponse au canotier de « Momo », Trenet arbore un petit chapeau. À cette époque de l'entre-deux-guerres, les hommes, de l'ouvrier en béret et casquette au bourgeois en gibus, melon ou panama, sortaient toujours couverts. Pour Trenet, ce sera le bitos, un ami pour amadouer le trac : « Ce fut une aide bien précieuse à un débutant haut de six pieds qui se sentait petit et perdu, seul sur la scène, et ne savait que faire de ses mains. Le chapeau lui sauva la mise. Il le portait négligemment en entrant en scène, derrière la tête (car il voulait montrer ses cheveux). Il l'ôtait, le remettait, lui donnait toutes les formes. Cela l'aidait à souligner un geste, une attitude et lui faisait oublier la gaucherie de ses dix doigts. Peu à peu, cet auxiliaire devint un accessoire, à présent c'est un fétiche. » Le triomphe est rapide. Pourtant, l'Occupation venue (la Mer, Que reste-t-il de nos amours, Débit de l'eau, débit de lait, Douce France, la Folle Complainte), Charles Trenet va être l'un des rares chanteurs dont le répertoire est assimilé aux « rythmes judéo-nègres » du jazz : il est sommé par les autorités d'apporter la preuve de sa non-judéité – Trenet serait l'anagramme de Tretner. Il doit donner des gages. Il écrit la Marche des jeunes, qui respire le pétainisme.

Une rentrée triomphale

En 1951, sa rentrée triomphale au Théâtre de l'Étoile, à Paris, établit sa prééminence sur la chanson française, avec de nouveaux chefs-d'œuvre, tout au long des années 1950 : l'Âme des poètes, la Folle Complainte, le Serpent Python, Une noix, Route nationale 7, la Java du diable, Moi j'aime le music-hall, le Jardin extraordinaire...