« 1900 »

Si les fins de siècle se ressemblent moins qu'on veut bien le dire, elles se regardent souvent. L'année 2000 a ainsi donné lieu à plusieurs expositions qui interrogent avec plus ou moins de bonheur l'aurore du xxe siècle. Quel bilan peut-on donner des années 1895-1900, années d'éclectisme, partagées entre impressionnisme et symbolisme, Art nouveau et rejet du style nouille ? En Europe, plusieurs grandes manifestations ont tenté de poser la question.

Ce fut le cas en France avec l'exposition « 1900 », présentée dans les galeries nationales du Grand Palais, dans le cadre de la mission 2000, mais aussi à Londres, avec deux expositions qui, sur le même champ historique, interrogeaient le passage du siècle. L'une est consacrée plus spécifiquement à l'Art nouveau (« Decadence and Dreams : Art nouveau 1890-1914 »), au Victoria and Albert Museum, l'autre, installée à la Royal Academy, se penche sur les échanges entre les arts à cette époque (« 1900 : Art at the Crossroads »). Entre ces trois grandes expositions, un point commun : le regard sur une période en quête d'une rénovation esthétique globale, touchant aussi bien la peinture, la décoration, les arts appliqués ou l'architecture, dans un même désir de synthèse.

Les errances de l'éclectisme

L'exposition parisienne « 1900 » pèche par la définition de son sujet ou peut-être, plus exactement, son manque de définition si l'on s'en tient aux déclarations d'intention des commissaires qui présentent leur projet par la négative : « Il convient de préciser d'emblée que l'exposition 1900 n'est ni une évocation des splendeurs et des misères de la Belle Époque, ni une commémoration de l'événement par lequel, il y a un siècle, Paris voulut éblouir le monde, pas plus qu'elle n'est un hommage à l'Art nouveau et à ses maîtres. » Il s'agit en fait de proposer un panorama de la création en Europe au tournant du siècle, autour de trois lignes directrices (« union des arts », « modernisme et tradition », « fin de siècle et mythe d'un nouvel âge ») et à partir d'exemples précis empruntés à diverses branches de l'activité artistique (peinture, sculpture, architecture, décor intérieur, photographie et livre illustré). Ou comment retrouver une certaine unité sous le voile de la diversité stylistique d'une époque en quête d'identité.

Pour les architectes et les décorateurs du passage du siècle, et dans l'esprit des Arts and Crafts de William Morris (le mouvement avait failli s'appeler « The Combined Arts » selon le terme suggéré par Richard Cobden Sanderson), il s'agit en effet de favoriser la rénovation de l'habitat afin de préserver l'homme de la désagrégation à laquelle l'exposent l'industrialisation, l'urbanisation et tous les symptômes de la vie moderne. Préserver donc une certaine intimité entre l'individu et son milieu domestique dans une société qui privilégie de plus en plus la vie publique et la pression du milieu extérieur. Certains travaillent à cette rénovation en solitaires ; d'autres réunissent leurs efforts pour atteindre leur objectif d'une plus large diffusion dans le peuple. Certains prônent la rupture avec les styles anciens et l'académisme des formes ; d'autres envisagent plutôt cette rénovation sous le signe de la continuité, assumant l'héritage des styles passés et des expressions vernaculaires. À l'heure de la grande Exposition universelle à Paris et des voyages intercontinentaux, on désire se ressourcer dans les traditions patrimoniales autochtones afin de raviver une identité nationale. À l'heure de l'industrialisation et des techniques triomphantes, on cherche à préserver le lien d'intimité entre l'individu et son milieu naturel. Les théories évolutionnistes de Darwin et de ses épigones frappent les esprits. On pense désormais l'univers à partir d'une chaîne continue des espèces qui relie l'homme à la nature. C'est dans cet esprit que le vaste mouvement de l'Art nouveau répand des formes végétales et aquatiques, avec d'étonnants développements biomorphiques dont l'homme ne serait qu'une manifestation parmi d'autres.