Les trois grandes parties qui rythment le parcours de l'exposition tentent de répondre à ces différentes facettes. Avec « 1900 », il s'agit de présenter la complexité d'une époque en quête d'identité, à la fois fascinée par les fruits de la technique et le retour à un âge d'or perdu, où l'harmonie avec la nature reprendrait le dessus. Elle nous parle donc de nouveauté et de tradition, d'évolution et de régression. Les tensions qu'on cherche à rendre sensibles entre modernité et tradition, entre le sentiment répandu alors d'une décadence inéluctable et la foi inverse en une société et une culture régénérées s'émoussent cependant sous le défaut d'ensembles clairs et convaincants. L'éclectisme fait sombrer le projet de modernité dans une vision trop nostalgique. Le xxe siècle naissant ne fait pas voir ses couleurs criardes, entendre ses bruits mécaniques, vibrer ses rythmes neufs... La photographie, très présente dans l'exposition, ne les a captés qu'imparfaitement. Elle ne parvient pas à compenser ce qu'un ou deux Picasso de 1900-1901 pourraient dire mieux que tout document. La ville électrique, les manèges et les foires, les visages fardés, l'anonymat des foules urbaines, voilà qui aurait heureusement équilibré l'univers légendaire, mythique du symbolisme international auquel le Grand Palais accorde, nous semble-t-il, une trop large place.

La synthèse des arts

L'exposition « 1900 » du Grand Palais joue donc la carte de l'éclectisme historique. Desservie par une mise en scène qui, à côté de séquences fluides, abuse de l'obscurité et d'effets dramatisants usés, l'exposition cherche à dépasser la seule célébration de l'Art nouveau. Elle souffre cependant de l'absence d'un certain nombre d'œuvres et d'artistes qui auraient permis au visiteur de rencontrer des repères plus familiers et de prendre plus complètement la mesure du passage du siècle. Elle manque aussi – notamment par rapport à l'exposition du Victoria and Albert Museum de Londres – d'une interprétation plus précise de cette question essentielle qu'est, à cette époque, la synthèse des arts. Pourtant le chef d'orchestre de cette exposition, Philippe Thiébaud, conservateur des collections d'objets d'art « Art nouveau » du musée d'Orsay, connaît bien la question. Son propre essai dans le catalogue, « L'homme fin de siècle en quête de forces vives », se situe bien dans la nouvelle vague de la recherche qui étudie autant les racines historiques de l'Art nouveau que ses productions les plus « modernes » et s'applique à considérer les rapports subtils qu'entretiennent entre eux les arts, la science, la littérature et la philosophie. L'Art nouveau s'apparente sous ce jour plus à un désir d'associer aspirations sociales et qualité de l'artisanat qu'il n'est la traduction d'un nouveau système ou d'un nouvel âge : celui de la machine.

L'union des arts qui caractérise l'Art nouveau est illustrée dès les premières salles du Grand Palais mais le choix des œuvres et leur présentation scénographique sont très peu convaincants. L'exposition s'ouvre ainsi sur la question de « l'art total », avec notamment l'architecte Henry Van de Velde qui accueille le spectateur avec un bureau-écritoire. On aurait préféré un ensemble mobilier complet qui aurait été plus démonstratif. Ici, le bureau est isolé dans une salle d'exposition avec vitrine, sans lien organique avec la décoration murale ou le reste des meubles – ce qui laisse peu entrevoir le projet organique de Van de Velde qui poussait le zèle jusqu'à dessiner les propres robes de sa femme pour que les lignes de son corps se fondent dans les arabesques décoratives de leur home. Pour évoquer le décloisonnement des pratiques, les commissaires de l'exposition « 1900 » présentent au public les panneaux décoratifs de Vuillard et de Redon, mais les panneaux là encore sont isolés sur des murs qui, même s'ils laissent apparaître le désir d'intégration à l'architecture, restent des cimaises blanches. Il aurait été bienvenu pour le cas de Vuillard (panneau décoratif pour la bibliothèque du Dr Vaquez, 1896) de pousser la logique de l'intégration jusqu'à appliquer un papier peint richement décoré qui aurait constitué la continuation directe des arabesques du peintre nabis. La section intitulée « Un nouvel art d'habiller le mur » consacrée à cette question du décor moderne en France au tournant du siècle aurait gagné à s'ouvrir véritablement aux arts appliqués. Les quelques tapisseries de Maillol ou de Grasset sont plus proches de l'illustration que de l'intégration.