Ravel était également célébré en mai à la Bibliothèque nationale de France par une guirlande de musiciens réunis autour de François Leroux, l'animateur de ces récitals, pour une intégrale de ses mélodies mises en regard de pages de ses contemporains.

L'Opéra-Bastille élargissait son répertoire en présentant des productions inédites. Ainsi Macbeth de Verdi, qui faisait son entrée sur la scène du vaisseau amiral de l'Opéra de Paris. La réussite de Macbeth repose sur les épaules de ses deux protagonistes principaux, qui doivent associer vaillance et subtilité, mais aussi sur un chef d'orchestre stylé et sur un metteur en scène inventif. Pour le retour de l'ouvrage à son répertoire, d'où il avait disparu voilà douze ans, ces trois éléments n'ont pu être réunis. Si, sur le plan vocal, la satisfaction était au rendez-vous, la mise en scène s'est montrée redondante, souvent emphatique, la scénographie par trop clinquante. L'orchestre de l'Opéra est toujours somptueux, mais la direction de Gary Bertini s'avère peu frémissante. Reste la performance de Jean-Philippe Lafont, qui prête sa voix et sa carrure solides à Macbeth, jouet fragile dans les mains de sa terrifiante épouse, campée par Maria Guleghina, qui a la vaillance de ce rôle redoutable.

En mai, c'était au tour de Wozzeck de Berg, œuvre pourtant emblématique de l'art lyrique du xxe siècle, de faire son entrée à Bastille. Cette première marquait aussi les débuts à l'Opéra de Paris du metteur en scène Pierre Strosser. Dans son premier Wozzeck, celui-ci dépeint un univers dont la problématique est l'incommunicabilité entre les êtres. L'action est plantée au moment de la genèse du drame laissé inachevé par Georg Büchner, dont Berg distribua les scènes selon sa propre dramaturgie et que Strosser a choisi de ne pas interrompre. L'action se développe donc dans un décor unique, les interludes sont joués à rideau ouvert, les situations qui s'imbriquent d'une scène à l'autre acquérant ainsi plus de poids. Plutôt que carcan, le décor monolithique conçu par Strosser, la cour d'un immeuble qui pourrait avoir été dessiné par l'architecte Mackintosh, leader de l'école de Glasgow, se révèle protecteur lors des apparitions de personnages divers aux fenêtres. La direction d'acteurs est magistrale, et, malgré les dimensions de la salle, on perçoit le moindre mouvement des chanteurs-acteurs. Jean-Philippe Lafont y est exceptionnel. À ses côtés, la déchirante Marie de Katarina Dalayman. Distanciée, la direction de Jeffrey Tate accorde la primauté au chant et à la scène.

En mai, toujours, Don Giovanni entrait à Bastille dans une étincelante distribution : Bryn Terfel en Burladore, José Van Dam en valet, Carol Vaness en Anna... Il fallait bien une telle affiche pour que l'opéra des opéras qu'est le Don Giovanni de Mozart « passe » la rampe de cette grande salle. Cette production tant attendue a pourtant déçu. D'abord dans la fosse : mais comment trouver la juste balance dans un si vaste vaisseau avec une partition dont chaque détail doit être scruté avec un sens infini de la couleur ? Certes, cet ouvrage attire les foules, mais vouloir satisfaire une demande qui sera toujours supérieure à l'offre justifie-t-il que l'on sacrifie la qualité d'écoute, même si le contingent de places est saturé des mois à l'avance ?... Craignant sans doute de n'être entendu des derniers rangs, James Conlon a dirigé sans nuances un orchestre souvent brutal. La mise en scène de Dominique Pitoiset tire profit de la personnalité et de la silhouette de colosse de Bryn Terfel, qui brosse un Don Giovanni diabolique, vulgaire et sans vergogne. Mais la scénographie rend le propos quasi illisible. Artiste complet, connaissant parfaitement un rôle qu'il a gravé dans la pellicule du film de Joseph Losey, José Van Dam reste un grand Leporello. Kristinn Sigmundsson est un impressionnant Commandeur, Rainer Trost un excellent Don Ottavio. Côté femmes, Barbara Fritolli est une émouvante Elvira, Juliette Galstian une Zerline juvénile et sensuelle, mais Carol Vaness, Donna Anna scéniquement superbe, a la voix lourde et empâtée.