Pour l'inauguration de son charmant théâtre rénové, l'Opéra de Rennes proposait le grand œuvre de Gabriel Fauré, le rare « poème lyrique en trois actes » Pénélope. Dans celui-ci se trouve le meilleur de l'auteur du Requiem. Créés à Monte-Carlo en 1913, donnés dès le 9 mai suivant à Paris lors des festivités inaugurales du Théâtre des Champs-Elysées, les trois actes de Pénélope exhalent une atmosphère pudique et humaine, mais aussi dramatique et sensuelle. Fauré emprunte le leitmotiv wagnérien, qu'il simplifie, renouvelant le traitement de la voix, mêlant récitatif, arioso accompagné et mélodie lyrique. Pénélope est animé d'une sombre flamme intérieure, qu'a su illustrer Alain Garichot dans sa mise en scène judicieusement statique et dépouillée. Manon Feubel campe une ardente et noble Pénélope face à un Ulysse puissant, en la personne de John Uhlenhopp.

La Walkyrie, le plus populaire des volets de l'Anneau du Nibelung de Richard Wagner, n'avait pas été donnée à Toulouse depuis 1976. Nicolas Joël directeur du Théâtre du Capitole, fut pourtant l'assistant de Patrice Chéreau dans la mémorable production que le Festival de Bayreuth monta voilà vingt-trois ans. Joël a placé l'action au moment de la genèse de l'ouvrage, l'architecture industrielle ayant à ses yeux valeur d'archétype. Dans un décor sépulcral lourdement baroque, et des costumes plus proches de l'Espagne inquisitoriale que de l'Allemagne wilhelmienne, la mise en scène plonge dans une atmosphère de ténèbres. Il y manque la vie du théâtre, les moments d'intériorité s'avérant ici les plus intenses. James Morris impose sa noble stature de Wotan face à la Brünnhilde fatiguée incarnée par Karen Huffstodt et à la Fricka exemplaire à laquelle donne vie Nadine Denize. Margaret Jane Wray campe une Sieglinde trop vaillante face à un rayonnant Siegmund interprété par Kim Beglay, ténor héroïque au timbre de bronze.

Festivals

À l'occasion de la deuxième session de sa nouvelle formule, le Festival d'Aix-en-Provence s'est doté d'un nouveau lieu, le Grand Saint-Jean, inauguré par une Flûte enchantée qui a suscité bien des discussions. Si l'orchestre de jeunes dirigé par David Stern a semblé manquer de cohésion, si la distribution, préparée depuis un an, entre autres, par Régine Crespin et Gundula Janowitz, a été contestée, malgré la charmante Pamina d'Hélène Le Corre, la Reine de la nuit bien chantée par Irina Ionesco, la mise en scène de Stephan Braunschweig a transcendé le spectacle, mêlant à une approche quasi psychanalytique un dispositif vidéo utilisé à bon escient. Retransmis en direct sur Arte depuis le Théâtre de l'Archevêché, le spectacle d'ouverture était confié à Offenbach, dont la Belle Hélène a été tellement corrigée que d'aucuns ont crié à la trahison. Herbert Wernicke est resté dans le registre de l'humour graveleux, dirigeant une troupe internationale inintelligible et peu à l'aise, à l'exception de la pulpeuse Nora Gubisch. Marc Minkowski s'est vu confier deux spectacles autour de Monteverdi : Cena furiosa, compilation de madrigaux du compositeur italien réalisée par Ingrid von Wantoch Rekowski, et le Couronnement de Poppée. Dans le premier, donné par les stagiaires de l'Académie européenne de musique et les Musiciens du Louvre, Minkowski n'a pu obtenir la cohésion et les nuances que cette musique exige, alors que dans le second, où le metteur en scène Klaus Michael Grüber a eu l'outrecuidance de supprimer le personnage clef de la nourrice, il a permis au chef de faire respirer la musique et aux chanteurs de s'exprimer.

Le Festival « Radio France et Montpellier » était placé sous le signe du Théâtre Helikon de Moscou, qui présentait les Contes d'Hoffmann d'Offenbach et Carmen de Bizet dans des versions décoiffantes qui rattachent ces chefs-d'œuvre de l'opéra à la comédie musicale. Minijupes microscopiques, talons aiguille, blousons de cuir cloutés, mur de briques rouges tagué, carcasse de véhicule transformée en lupanar..., on se croirait dans le Bronx d'un West Side Story actualisé. Mais, alors que sur le plateau s'égaillent prostituées et skinheads, apparaissent sur le mur des images de corrida, tandis que dans la fosse s'enchâssent des thèmes associés communément à l'Espagne. Un premier chœur dans la tradition de l'opéra s'exalte soudain, suivi d'un air que l'on s'étonne d'entendre enchaîné sans dialogues ni récitatifs. Assisterait-on à une série de vidéo-clips tournés dans une Espagne vue à travers le prisme de la Russie d'aujourd'hui ? Nul doute possible, cependant, c'est bien de Carmen de Bizet qu'il s'agit...