Nouvelle manifestation sur l'échiquier pourtant déjà fort riche des festivals français, le Festival Messiaen de La Meije, petit hameau de 500 âmes du massif de l'Oisans, fort apprécié des alpinistes, mérite le détour. L'été venu, Olivier Messiaen aimait à s'y retirer avec sa femme, la pianiste Yvonne Loriod. Il y composa son Livre d'orgue et la première des pages de son Catalogue d'oiseaux. La charmante chapelle romane du village de La Grave jouit d'une acoustique claire, aérée, chaleureuse, bref un bijou digne d'un studio d'enregistrement dont le porche débouche sur une perspective imprenable sur le glacier de la Meije. Le public, jeune et principalement autochtone, peut ainsi goûter dans les meilleures conditions la création de Messiaen, au plus près des artistes invités, cette année Roger Muraro, qui fut l'élève d'Yvonne Loriod au Conservatoire de Paris et côtoya Messiaen, et Pierre-Laurent Aimard, autre élève de Loriod et Messiaen, qui a dialogué avec la soprano Françoise Pollet et la pianiste russe Irina Kataieva avec laquelle il est marié.

Les Chorégies d'Orange se portent bien. Leurs quatre soirées ont attiré 31 000 spectateurs, soit un taux de fréquentation de 95 %. Il faut dire que, avec des œuvres comme la Traviata de Verdi et Norma de Bellini, la prise de risques est minime. Pourtant, le second n'avait pas été donné au Théâtre antique depuis un quart de siècle et la mémorable performance de Montserrat Caballé sous un mistral d'anthologie. Cette année, le ciel provençal s'est montré clément, les dieux romains permettant ainsi à Evelino Pido, qui découvrait le mur d'Auguste, de diriger une Norma toute en nuances. Hasmik Papian campe la prêtresse gauloise avec une douce féminité, en digne héritière de Caballé.

Bruxelles-Barcelone

Lady Macbeth de Mtsensk faisait en février son entrée au répertoire du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Le second opéra de Dimitri Chostakovitch y a connu une lecture d'une frénésie animale à la hauteur de son sujet. Cette histoire, aussi monstrueuse que le Macbeth de Shakespeare et Verdi, a pour héroïne la femme d'un marchand, Katerina Ismaïlova, qui, pour briser l'ennui qui la ronge, se laisse séduire par un inconnu, empoisonne son beau-père, assassine son mari et finit par tuer au bagne sa rivale, qu'elle emporte dans son suicide. Stein Wenge a su tirer de la nuée de personnages autant de caractères spécifiques, sa direction d'acteurs animant chacun comme autant d'entités veules, vulgaires, ridicules, formant un violent contraste avec l'ennui profond de l'héroïne, victime expiatoire de sa solitude. Ce spectacle était servi par une distribution exceptionnelle, tous les rôles étant tenus par les chanteurs adéquats, placés sous l'empire de Nadine Secunde dans le rôle de la fébrile Katerina Ismaïlova.

Mais le moment le plus attendu de l'année fut la réouverture en octobre du Liceo de Barcelone. Le célèbre théâtre lyrique catalan renaissait de ses cendres après le terrible incendie qui faillit l'engloutir à jamais. Turandot de Puccini, placé sous la direction du nouveau directeur musical, le Français Bertrand de Billy, avait été retenu pour l'occasion. Choix qui s'expliquait par le fait que ce même opéra était en répétition lorsque le feu eut raison du Liceo. Ce théâtre semble avoir quelque peu perdu en qualité acoustique.

Hommages

Mort à Berlin le 12 mars, lord Yehudi Menuhin laisse un vide immense. Ses yeux bleus scintillants d'humanité, sa sollicitude, et jusqu'à sa voix, douce et chantante, étaient la musique même. Comme elle, Menuhin semblait éternel. Pourtant, celui que l'on avait surnommé « l'archange du violon » a finalement rejoint ses semblables, pour les enivrer de ses féeriques sonorités. Polyglotte à la culture universelle, « européiste convaincu », défenseur des opprimés, il était l'ambassadeur itinérant de la musique et de la paix. Riche de sa foi inébranlable dans le pouvoir de son art, Menuhin fut bien plus qu'un virtuose.

Bruno Serrou
Critique musical