La crise irakienne

Sept ans après sa création, la Commission spéciale de l'ONU chargée du désarmement de l'Irak (Unscom) était bien en peine d'évaluer la réalité de la menace militaire irakienne. Seule certitude, non seulement Saddam Hussein a réussi à se maintenir au pouvoir, mais il a défié une nouvelle fois, à travers l'ONU, les États-Unis.

Soumis à un blocus rigoureux depuis la fin de la guerre du Golfe, en 1991, l'Irak connaît une situation économique et sanitaire réellement dramatique ; la résolution « pétrole contre nourriture » fait figure d'aumône humiliante ; enfin, la présence de l'Unscom est perçue comme une ingérence quotidienne des États-Unis.

Fort de cette réalité, que nul ne songerait à contester, le leader irakien a défié une première fois les Américains en novembre 1997. Faisant alors le pari que Washington ne parviendrait pas à former de nouveau une coalition semblable à celle qui lui avait fait mordre la poussière en 1991, S. Hussein avait réussi à offrir une tribune internationale à son pays réduit à la mendicité pour cause d'intransigeance américaine, tout en rappelant qu'il est le seul homme fort du pays. Un gain en matière de politique intérieure qui n'aura échappé à personne.

Instruit par l'épilogue de novembre 1997, S. Hussein a réédité, sans variante d'importance, le scénario au début de l'année 1998. L'affaire s'est réglée, comme en 1997, avec l'intervention du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et des promesses de part et d'autre : l'ONU en ménageant la souveraineté des Irakiens, ces derniers en acceptant d'ouvrir à l'Unscom les sites dits « présidentiels ». Les choses sont donc rentrées dans l'ordre, le 23 février, avec la signature d'un accord mettant un terme à la crise. Paraphé par Kofi Annan, pour l'ONU, et Tarek Aziz, pour l'Irak, ce texte engage Bagdad à respecter toutes les résolutions des Nations unies – dont le libre accès à l'Unscom de tous les sites militaires ou assimilés – et l'ONU à mettre en œuvre une procédure particulière dès lors qu'il s'agira d'enquêter sur les sites présidentiels, où des diplomates de haut rang accompagneront désormais les experts de l'Unscom.

Un VRP de la misère irakienne

À chaque année ne suffit sans doute pas sa crise, puisque les rapports se sont de nouveau tendus à l'été, lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU a été saisi des conclusions de l'Agence internationale de l'énergie atomique concernant la situation de l'Irak dans le domaine nucléaire.

Des conclusions suffisamment ambiguës pour que les États-Unis et la Grande-Bretagne, favorables au maintien de l'embargo, y trouvent la confirmation de leur politique, et pour que les pays opposés au statu quo se prononcent en faveur de la fermeture du dossier nucléaire, l'un des volets du désarmement auquel doit se plier l'Irak – pour mémoire, la résolution 647 du Conseil de sécurité fait du désarmement partiel du pays la condition de la levée des sanctions économiques auxquelles il est soumis. Sans illusion sur les conclusions du Conseil de sécurité – l'ambassadeur américain à l'ONU n'avait-il pas déclaré « pas de progrès, pas d'action du Conseil de sécurité » –, l'Irak a affirmé le 29 juillet qu'il n'accepterait plus le maintien de l'embargo et déplorait que l'Unscom soit devenu un levier politique hostile, impliqué dans le jeu du maintien de l'embargo.

Finalement, Bagdad a choisi de s'en tenir à une « gesticulation » purement rhétorique. Car, quel que soit le degré d'empathie que peut inspirer l'aventurisme diplomatique de S. Hussein, ce dernier n'ignore pas que si l'Irak devait rompre sa coopération avec l'ONU sur le seul programme de désarmement les conséquences immédiates seraient de rendre caduque la résolution « pétrole contre nourriture ».

Pour autant qu'elle permet de desserrer un petit peu le lacet de l'embargo, cette résolution offre au président irakien un argument à double détente. Elle lui permet de prendre la communauté internationale à témoin des malheurs de son peuple – et prive par la bande les États-Unis de tout espoir de reconstituer la coalition de 1990 – tout en se posant, vis-à-vis de la population, comme le garant de l'intégrité territoriale : sous perfusion, le pays n'est-il pas plus menacé que menaçant ? D'ailleurs, S. Hussein ne manquera jamais une occasion de se faire le VRP de la misère de l'Irak, un pays acculé à la ruine matérielle, sanitaire et psychologique, dont le PIB serait inférieur à celui de 1950 et où l'espérance de vie aurait reculé de dix ans.

Le dilemme américain

Au bout du compte, les États-Unis ont transformé la victoire militaire de la coalition onusienne en défaite politique. Ce que vérifie la proposition inverse : S. Hussein a fait de la déroute de ses armées une victoire politique. Les États-Unis se sont en effet enfermés dans l'alternative suivante : soit mener une nouvelle guerre dévastatrice, sans pouvoir préciser en quoi la communauté internationale s'en porterait mieux ; soit ne pas le faire, et risquer de paraître avoir reculé. En réalité, faute de disposer d'une véritable stratégie concernant l'Irak, les États-Unis se sont tenus à une formule : « On ne discute pas avec le diable. » Pour autant, cela ne peut invalider le principe qui veut que, lorsque l'on ne parvient pas à battre un adversaire, il faut discuter avec lui. Mais, en l'espèce, une ouverture, fût-elle limitée, n'est guère envisageable, politique intérieure oblige.