À l'inverse, on trouve des films qui brossent tout en noir et qui se fondent sur un scepticisme généralisé. Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood est la plus accomplie de ces œuvres. Un journaliste s'attache aux pas d'un notable soupçonné du meurtre d'un gigolo : une série de fausses pistes égarent le spectateur qui ne saura pas si le personnage central est coupable ou non. Maître de l'illusion et du faux-semblant, Brian de Palma, qui sut jadis nous éblouir avec Pulsions (1981) ou Blow out (1982), met en place dans Snake Eyes un stratagème très complexe de caméras de surveillance, de personnages à double ou triple rôle, pour un résultat assez mince : éliminer un homme politique devenu gênant et faire endosser la chose à un bouc émissaire.

Le succès de la série télévisée X Files – dont une honorable version cinéma a été tournée avec la même équipe, ce qui est un atout par rapport à d'autres démarches semblables comme le catastrophique Chapeau melon et bottes de cuir de Jeremiah Chechik– a (re)donné naissance à un courant cinématographique paranoïaque où la manipulation de l'individu par des institutions gouvernementales, scientifiques, médiatiques ou financières est le nerf moteur de l'intrigue. Cela prouve, contrairement à ce que pense Spielberg, que les Américains se méfient de ceux qui les gouvernent. L'exemple extrême de ce courant informel est représenté par The Truman Show de Peter Weir, où on pénètre dans l'intimité d'un homme de trente ans, filmé à son insu depuis sa naissance par un puissant network, qui le dote d'un environnement social et humain totalement artificiel : sa femme, par exemple, est une actrice à qui le rôle commence à peser. Bienvenue à Gattaca d'Andrew Niccol ou Small Soldiers de Joe Dante, pour ne citer que les opus les plus inventifs, mettent également en jeu et en scène des manipulations génétiques ou technologiques qui entravent le libre arbitre des protagonistes.

Les principales réussites artistiques de l'année, Titanic, Jackie Brown et The Big Lebowski, sont des films composites qui savent constamment faire rebondir contenu et forme. James Cameron utilise la technologie la plus sophistiquée pour conter, à travers une admirable histoire d'amour et de classes, le plus grand échec de cette technologie même. Quentin Tarantino adapte, à sa manière, avec Jackie Brown, un roman de l'auteur prodige Elmore Léonard, en suivant toute une série de fausses pistes. Il n'en demeure pas moins vrai que ce film est le plus classique du cinéaste, qui l'a spécialement conçu pour l'actrice noire américaine Pam Grier, une des reines de ce qu'on a appelé la Blaxploitation dans les années 70, et qui n'avait guère trouvé rôle à sa mesure depuis vingt ans. Très friand de culture afro-américaine, Tarantino a voulu, ici, lui rendre hommage. Avec The Big Lebowski, les frères Coen échappent à ce qui commençait à devenir un système chez eux : la lecture au second degré de divers genres cinématographiques. Le personnage central de ce film, une sorte de vieil hippie, donne une logique et une épaisseur humaine à ces variations stylisées de film policier.

Tarantino et la culture afro-américaine

« Adolescent, j'étais incroyablement fier de posséder cette culture. Aujourd'hui, je m'aperçois que la Blaxploitation a représenté une tentative unique de créer un monde noir, juste au moment où la communauté afro-américaine s'affirmait sur le plan artistique, économique et politique. On a souvent stigmatisé la violence de ces films, mais le genre était beaucoup plus riche, le me souviens d'un personnage à qui ion injectait de l'huile de moteur dans les veines pour le calmer. Cette dureté reflétait simplement l'atmosphère du ghetto... La Blaxploitation a rencontré un succès considérable dans la communauté noire, mais son intelligentsia et ses leaders politiques n'ont eu de cesse de dénigrer ces films à cause de l'image soi-disant négative des Noirs qu'ils véhiculaient. Cela montre à quel point l'intelligentsia noire était à côté de la plaque. Pour la première fois dans l'histoire de l'Amérique, un cinéma noir émergeait, à côté du cinéma blanc, avec son propre star-system, ses musiciens, ses réalisateurs, ses scénaristes. Ce cinéma est mort de son manque d'inspiration – beaucoup de compagnies indépendantes ont fini par tuer la poule aux œufs d'or –, mais, surtout, on ne lui a pas laissé la chance d'exister. »