Et pourtant, tout au long de l'année 1996, le président Karimov ne ménage pas ses efforts d'ouverture tous azimuts, recevant à Tachkent, où il a installé un bureau de l'OSCE, des représentants de l'Inde, du Pakistan et de l'Iran. Cette politique multilatérale trouve, dans une certaine mesure, son pendant sur le plan économique : l'Ouzbékistan n'est plus tributaire des pays de l'ex-URSS que pour moins de la moitié de ses échanges ; il exporte son coton dans le monde entier, attire de nombreuses compagnies étrangères, y compris asiatiques, séduites par sa position de pôle régional. Demeure l'image de despote oriental poststalinien qui colle au président Karimov, l'opposition démocratique étant en exil et ses adversaires islamistes souffrant d'une répression impitoyable.

Tadjikistan

Fragilisé, appauvri par une guerre civile sanglante s'éternisant depuis quatre ans, le Tadjikistan subit au premier chef les bouleversements de l'Afghanistan voisin. Désormais, les milliers de soldats russes, disposés sur la frontière qui sépare les deux pays, font face à la menace de l'islamisme radical. Début octobre, à Douchanbe, capitale du Tadjikistan, on rappelle que les frontières du pays sont celles de la CEI et qu'il est urgent que celle-ci prenne des mesures pour faire face à ce nouveau défi géopolitique. Les talibans sont accusés par la presse gouvernementale de soutenir la guérilla tadjik islamiste, en lutte contre le régime prorusse d'Imomali Rakhmonov.

Si ce mouvement armé est en effet doté de solides bases au nord de l'Afghanistan, il n'est cependant pas homogène : une fraction spécule sur une réconciliation intertadjik, pour peu que les forces armées russes cessent de porter à bout de bras le régime « fantoche », une autre, stimulée par la victoire des talibans, plaide pour une généralisation des combats. Mais l'imbroglio tadjik ne s'arrête pas là : les vaincus du régime déchu de Kaboul, d'origine tadjik, sont refoulés aux confins du Tadjikistan, alors qu'un conflit-armé a éclaté, dès janvier 1996, entre la minorité ouzbek et le régime prorusse. Le coût humain de ce chaos persistant est considérable : le Tadjikistan occupe le 141e rang mondial selon le PIB réel par habitant (entre le Cambodge et la Géorgie).

Turkménistan

Le président Saparmourad Niazov, adepte du pouvoir personnel, continue sa voie spécifique au sein de la CEI. Son ambition est de parvenir à arracher au géant russe Gazprom, qui en détient aujourd'hui le monopole, le contrôle de l'exportation des richesses naturelles du pays (le Turkménistan dispose des deuxièmes plus grandes réserves de gaz naturel de la planète). C'est dans cet esprit que M. Niazov se tourne vers l'Iran voisin, par l'ouverture, en mai, d'une ligne de chemin de fer débouchant sur le port iranien de Bandar Abbas. L'achèvement d'un gazoduc acheminant le gaz turkmène vers l'Iran et ses débouchés maritimes est prévu pour 1997. Avec le soutien de compagnies américaines et saoudiennes, le Turkménistan envisage aussi la construction d'un oléoduc transitant à travers l'Afghanistan vers le Pakistan : ainsi le pétrole d'Asie centrale trouverait un débouché échappant totalement à la Russie. Un tel projet, qui implique directement le Turkménistan, éclaire d'un jour suggestif les succès des talibans afghans soutenus par les autorités pakistanaises.

En visite au mois de septembre en France, le président Niazov a exprimé le désir de son pays de s'ouvrir également à l'Europe occidentale. Se faisant le porte-parole de la Communauté européenne, Jacques Chirac a alors salué la « volonté d'indépendance » du Turkménistan.

Alain Brossat