Un autre point de friction entre la France et ses partenaires européens (Grande-Bretagne exceptée), après la décision de reprendre les essais nucléaires. Chahuté par les députés européens lorsqu'il présente, le 11 juillet, le bilan de la présidence française, Jacques Chirac ne convainc guère lorsqu'il propose, au mois d'août, un possible élargissement du « parapluie » militaire aux intérêts européens.

Le Conseil européen de Cannes

Cinq grands dossiers sont traités lors du Conseil européen de Cannes : la Bosnie et, plus largement, l'ex-Yougoslavie, les perspectives d'élargissement, les financements de l'Union, la CIG de 1996, l'union monétaire et la monnaie unique.

Concernant la Yougoslavie, Jacques Chirac fait adopter un nouveau « plan d'action » pour la Bosnie, le médiateur européen, Carl Bildt, ayant notamment pour mission d'obtenir la levée du siège de Sarajevo avec rétablissement d'une route d'accès. Il conviendra ensuite de « renouer le dialogue » avec toutes les parties sur la base du « plan de l'ONU » prévoyant un découpage territorial.

En perspective d'un élargissement est accepté : l'UE pourrait, au début du xxie siècle, comprendre une petite trentaine de membres, avec l'adhésion de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Slovénie, de la Lituanie, de l'Estonie, de la Lettonie, de Chypre et de Malte. Symboliquement, les chefs de gouvernement de ces pays sont invités à participer avec leur collègues de l'UE à un impressionnant déjeuner protocolaire à Cannes. Plusieurs accords européens d'association en vue d'adhésion ont été signés, notamment en 1995 avec la Slovénie et les trois États baltes. Si les États baltes, la Roumanie et la Slovaquie ont déposé leur demande d'adhésion en 1995, celles de la République tchèque et de la Bulgarie ne sont pour l'instant qu'annoncées. Ainsi, peu à peu, se dessine une nouvelle architecture de l'Europe du début du troisième millénaire, malgré les difficultés à surmonter : disparités économiques et sociales encore considérables ; démocratisation balbutiante dans certains pays ; nécessaire acceptation d'un considérable acquis communautaire ; approfondissement de l'UE, etc.

Les Quinze décident de dégager, d'ici à 1999, 6,693 milliards d'écus en faveur de leurs voisins de l'Europe centrale et orientale ; 4,685 milliards d'écus pour les États associés du bassin méditerranéen, auxquels s'ajouteront 13,307 milliards d'écus pour la durée du huitième Fonds européen de développement (FED) qui intéresse les 70 pays signataires des conventions de Lomé (pays de l'ACP : Afrique, Caraïbes, Pacifique). À cette facture de l'ordre de 160 milliards de francs il convient d'ajouter celle des futurs grands travaux européens. Ce dernier dossier est transmis à Cannes à la présidence espagnole.

De Messine à Madrid

La CIG qui commencera ses travaux en 1996 sous la présidence italienne de l'Union pourrait se conclure début 1997. L'ordre du jour définitif de la conférence sera déterminé par les États membres eux-mêmes sur la base des travaux préparatoires effectués par le « groupe de réflexion » nommé en 1994 et composé d'un représentant par État membre, du président de la Commission européenne, Jacques Santer, et de deux représentants du Parlement européen, en l'occurrence Élisabeth Guigou, ancien ministre français des Affaires européennes (groupe socialiste) et l'Allemande Elma Brock (groupe démocrate-chrétien). Le groupe ainsi constitué tient sa première réunion le 3 juin 1995 à Taormina, sur la rive sicilienne du détroit de Messine, et remet son rapport pour le Conseil européen de Madrid en décembre 1995 ; il s'agit de savoir comment rendre les prochains élargissements possibles et viables, et, en même temps, si, à l'avenir, il y aura davantage « d'intégration » ou de « désintégration ». Le « rapport d'étape », à la disposition des chefs de gouvernement pour le Conseil européen informel de Formentor (Majorque) des 22 et 23 septembre, donne le sentiment d'une absence de vision commune. Il y a unanimité pour reconnaître les « insuffisances », et le « manque de cohérence globale » de l'action extérieure de l'UE, mais les avis divergent quant à l'analyse des causes de cette insuffisance, et le principe de souveraineté nationale reste la référence essentielle en matière de défense. Bref, le sentiment prévaut que, faute d'unanimité sur les grands problèmes, on se dirige vers un statu quo amélioré qui ne risque guère de répondre aux défis d'une Europe élargie à 25 ou 30 membres.

De Formentor à Madrid

Le Conseil européen informel (sans ordre du jour ni obligation de résultat) de Formentor s'ouvre dans un climat politique européen plus délétère, qui s'explique par les controverses à propos de Schengen, de l'avenir de l'Union monétaire et aussi des essais nucléaires français dans l'océan Pacifique. La tentative d'organiser une réflexion commune entre les 15 chefs d'État et de gouvernement sur ce que pourraient être les contraintes de l'Europe de demain et d'éviter qu'à la faveur d'élargissements successifs l'Union ne dégénère en une zone de libre-échange avec de multiples centres de décision ne s'avère guère concluante.