Tous se sentent représentants d'une génération sacrifiée à laquelle on n'offre que des ersatz d'emplois. La grogne enfle peu à peu jusqu'à se terminer dans la rue, où les manifestations succèdent aux manifestations. À Paris, mais aussi en province, et notamment à Lyon, où le mouvement tourne à l'affrontement avec les forces de l'ordre. Le 17 mars, le mouvement est à son apogée. Sous la même bannière « non au SMIC-jeunes ». 330 000 manifestants déambulent dans les mes de Paris.

Formation professionnelle

Environ 400 000 jeunes sont en formation en alternance dans l'entreprise. C'est encore trop peu selon le gouvernement, qui se lance pour défi de « doubler le nombre de jeunes en formation dans l'entreprise en cinq ans ». Pour y parvenir sont décidées une série de mesures, dont un projet de loi sur la formation en alternance annoncé à l'automne. Celui-ci prévoit la création d'un contrat d'insertion en alternance et un accroissement des moyens financiers de l'État pour développer et rénover les centres d'apprentissage. Au vu des deux rapports de l'IGAS (Inspection générale des Affaires sociales) et de l'Inspection des Finances, le gouvernement est par ailleurs amené à entreprendre des réformes, dont la transformation des réseaux de collecteurs de fonds et une révision du financement de l'apprentissage et de la formation en alternance.

SMIC

Pour la deuxième année consécutive, le SMIC ne bénéficie d'aucun coup de pouce. Le gouvernement se contente d'appliquer strictement la loi. La revalorisation est donc limitée à 2,1 %, correspondant à la hausse des prix constatée de 1,5 % et à la moitié du gain de pouvoir d'achat du salaire horaire ouvrier, soit 0,59 %. De 34,83 F de l'heure, le SMIC est donc porté à 35,56 F, soit un salaire mensuel (sur la base légale de 39 heures) de 6 009,64 F.

Le questionnaire

Au terme de trois semaines de contestation, le gouvernement se voit contraint de retirer un projet qui ne suscite qu'hostilité, y compris dans les rangs de sa propre majorité. Et, le 21 avril, Édouard Balladur lance l'idée d'une vaste consultation. Centré sur la famille, les amis, la santé, les études, l'emploi, le monde du travail, les sports et loisirs, la participation et les engagements, un questionnaire, baptisé « Faites agir vos idées », est envoyé par la poste à 9 millions de jeunes âgés de 15 à 25 ans. 1 500 000 réponses : même si la représentativité de l'échantillon est contestée par des sociologues et des professionnels du sondage, ce chiffre dépasse les prévisions du gouvernement, désormais persuadé que les ponts entre les jeunes et la société ne sont pas tout à fait rompus. Des 57 proportions qu'en tire le comité de pilotage (composé de 11 personnalités indépendantes, dont Christian Spitz, le fameux Doc de « Fun Radio », et l'animatrice de télévision Mireille Dumas), le gouvernement retient, le 15 novembre, 29 mesures. L'ensemble ne soulève ni l'enthousiasme des organisations étudiantes ni celui des commentateurs, qui reconnaissent pourtant à certaines dispositions le mérite d'exister. Exemples parmi tant d'autres : l'abaissement à 18 ans de la date d'éligibilité aux élections cantonales, régionales ou municipales ; la généralisation des conseils communaux de jeunes dans les villes de plus de 3 500 habitants ; la présence systématique d'une infirmière dans les établissements scolaires ; la désignation d'un interlocuteur privilégié des jeunes dans tous les commissariats centraux de la police nationale.

Le malaise des pêcheurs

La bagarre sur le CIP est venue rallumer un brûlot social que le gouvernement avait eu bien du mal, quelques semaines plus tôt, à éteindre avec les pêcheurs. Comme les jeunes, ceux-ci expriment dans la rue leur « malaise existentiel ». Certaines manifestations dégénèrent, allant même jusqu'à l'incendie du parlement de Rennes. Il faudra plus de 15 jours pour calmer la colère d'une population dont les membres disent gagner à peine l'équivalent du SMIC. Et autant de réunions avec les représentants des marins pêcheurs pour trouver des solutions à la « crise de la pêche ». La réinstauration par Bruxelles des prix minimaux sur certaines espèces de poisson, la création d'une caisse mutuelle de garantie des salariés permettant d'assurer aux marins de la pêche artisanale un revenu minimum ont fini par avoir raison de l'exaspération des travailleurs de la mer.

Les salaires redeviennent un motif de conflit

Les revendications salariales, qui, devant l'ampleur du chômage, avaient cédé le pas ces dernières années aux conflits sur l'emploi, reprennent un peu de vigueur. Alors qu'en 1993 à peine un conflit sur trois était lié aux salaires, cette année, c'est un sur deux. La grève chez Pechiney à Dunkerque puis, très peu de temps après, celle de Gec-Alsthom à Belfort ou d'Usinor Fos marquent un réveil des « forteresses ouvrières » et le retour à des conflits durs et longs. Les jeunes salariés, dopés par la reprise économique et sans doute aussi, dans le cas d'Alsthom, par les « affaires » qui touchent lu haute hiérarchie du groupe, sont en première ligne. Plus radicaux que leurs aînés. Partout, les directions sont obligées de lâcher du lest sur les salaires et de sacrifier la sacro-sainte modération salariale qui, répète alors le CNPF, reste une « nécessité ». Ces exceptions mises à part, le nombre de conflits sociaux, bien qu'en augmentation, reste encore très en deçà de son niveau de la décennie précédente.