Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Musique classique : d'une crise à l'autre

Tandis que le monde politique se débat dans les « affaires », le monde musical vogue de crise en crise. Trois de nos plus grandes institutions auront frôlé la catastrophe au cours de l'année 1994, si tant est qu'elles soient réellement hors de danger. Les structures musicales bordelaises ont été les premières à tirer la sonnette d'alarme. Le festival d'Aix-en-Provence l'a fait presque simultanément, juste avant que ne commencent à éclater les crises à répétition de l'Opéra national de Paris. Sans aucun doute, il s'agit en chaque occasion de retombées culturelles d'un climat politique houleux, instable, à l'approche à la fois des élections présidentielles et des élections municipales, et en raison de la mise en place, souvent ardue, de la nouvelle majorité au pouvoir. Plus que jamais, la grande dépendance de la culture, ici de la musique, vis-à-vis des politiciens apparaît avec tous ses inconvénients. Le ministère de la Culture, conscient de cet état de fait, se penche avec attention sur certains des aspects les plus dangereux de cette situation, en particulier en ce qui concerne le paysage orchestral du pays. Directeur de la musique et de la danse, Stéphane Martin organise colloques et rencontres à ce sujet, sans qu'à ce jour il en soit encore sorti des mesures concrètes précises.

La crise bordelaise

Elle aura été la crise la plus rude connue par les structures musicales de la ville depuis l'arrivée d'Alain Lombard. En effet, à la veille de l'ouverture d'une saison lyrique déjà repoussée à décembre en raison des précédentes diminutions budgétaires, la ville de Bordeaux annonce à Alain Lombard que son budget, couvrant le Grand Théâtre, l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine et le Mai de Bordeaux, sera amputé de 30 millions de francs, passant de 140 à 110 millions de francs. On envisage alors l'annulation de toute la saison lyrique. Trois ouvrages sont finalement sauvés : la Chauve-Souris, déjà en répétition, la reprise de la Flûte enchantée et la nouvelle production de Carmen, qui connaît un succès retentissant. D'abord annulé, le Mai est lui aussi sauvé grâce à la participation spontanée et totalement bénévole des artistes et à la coopération des entreprises régionales, toutes très attachées à la manifestation. Organisée sur la base d'un budget de 110 millions, la saison prochaine devrait pouvoir comporter cinq œuvres lyriques.

La crise aixoise

Le festival d'Aix-en-Provence, le seul festival musical français de portée internationale, a connu, lui aussi, une des crises les plus graves de son histoire. Malgré le succès incontestable de la plupart des spectacles de l'ère Erlo, le festival n'est pas parvenu à résorber un inévitable déficit. La défection de plusieurs sponsors et le refus de l'État comme de la ville de combler le vide ont fait envisager un instant la suppression pure et simple de la cuvée 1994. Finalement, on s'est résolu à s'en tenir à une seule production, la Flûte enchantée, dirigée par William Christie, dans une mise en scène de Robert Carsen. Le succès du spectacle et des concerts qui ont complété l'affiche garantit la survie du festival, qui devrait présenter trois opéras en 1995.

La crise de l'Opéra national de Paris

Difficile passation de pouvoir à l'Opéra national de Paris. À la suite du départ de Pierre Berge et de ses équipes, en février, c'est donc Jean-Paul Cluzel, directeur général, qui se retrouve seul maître à bord, assisté de Thierry Fouquet pour les questions lyriques. Le premier conflit éclate à l'annonce d'un plan social découlant du rapport Gall et prévoyant la suppression de 119 postes. Malgré l'affirmation de la direction selon laquelle ce plan n'entraînerait pas de licenciements secs, les syndicats, dénonçant la gabegie générale de l'établissement, entament une série de grèves qui aboutissent à la suppression de plusieurs représentations de la Tosca dans la nouvelle production de Werner Schroeter avec notamment Placido Domingo, l'annulation d'une vaste retransmission sur grand écran à Paris et dans plusieurs villes de province et l'annulation de plusieurs représentations de la Bayadère. Attaqué en justice sur la procédure même de ce plan social, l'Opéra est désavoué par deux fois par la loi. Un nouveau plan est en gestation. À cela s'ajoute, au cours de l'été, l'annonce brutale du renvoi de Myung-Whun Chung, directeur musical, lié au théâtre par un solide contrat jusqu'en l'an 2000. Nouvelle défaite judiciaire pour l'Opéra, contraint de laisser Chung diriger les représentations de Simon Boccanegra, qui ouvrent la saison, ainsi que plusieurs concerts, et de lui verser le dédit prévu par son contrat, soit environ 9 millions de francs. Perte financière, mais aussi perte de prestige pour l'Opéra et pour l'État français, pris une nouvelle fois en flagrant délit de non-respect de leurs engagements. C'est dans ce contexte houleux, doublé de la fermeture du palais Garnier pour travaux jusqu'en 1996, que s'est ouverte la nouvelle saison, dans l'attente de l'arrivée effective de Hugues Gall en août 1995.