Mais le Premier ministre ne modifie pas sa politique, il ramène progressivement les taux d'intérêt au niveau d'avant-crise, rien de plus. Le Trésor l'a convaincu qu'une dépréciation du franc ferait trop de dégâts à moyen terme : perte de crédibilité, remontée des taux de l'argent à long terme, risque d'inflation, fin du grand projet européen de monnaie unique. Balladur préfère la politique des petits pas à celle, plus casse-cou, que propose un Philippe Séguin. Le franc se stabilise autour de 3,50 F pour 1 DM.

Le plan quinquennal pour l'emploi

Il est annoncé dès le mois de juillet, alors que se multiplient, dans les rangs mêmes de la majorité, les critiques sur « le manque d'audace » du gouvernement. Après avoir pris ce qu'il appelle « les mesures d'urgence », Édouard Balladur veut inscrire son action dans la durée. L'auteur du Dictionnaire de la réforme réunit à la maison de la Chimie, à Paris, les 500 parlementaires de sa majorité pour tracer devant eux les grandes lignes de cette « nouvelle étape ». Tout part du constat que la France, à taux de croissance égal, crée moins d'emplois que ses partenaires. Le gouvernement y voit le résultat des rigidités de l'économie française et promet des mesures pour réduire le coût du travail, assouplir sa réglementation, aménager son temps.

Après de multiples consultations, le projet de loi, d'une cinquantaine d'articles, arrive en septembre à l'Assemblée. Il prévoit, pêle-mêle, l'extension du chômage partiel de 700 heures à 1 200 heures, un moratoire de 5 ans sur le relèvement des cotisations sociales (plus un vœu politique qu'une vraie contrainte), des incitations au travail partiel et aux congés sabbatiques ou parentaux, des aides aux chômeurs créateurs d'entreprises, un assouplissement de l'interdiction du travail le dimanche, une exonération progressive des cotisations sociales pour les bas salaires, un « contrat d'insertion professionnelle » pour former et faire travailler (en dessous du SMIC) des jeunes non qualifiés, le transfert de la responsabilité des programmes de formation aux Régions, etc.

Le texte prépare également l'ouverture de négociations patronat-syndicats sur le temps de travail. Celui-ci est alors fixé sur une base hebdomadaire (les 39 heures) et l'idée est d'annualiser cette base : un salarié pourra, par exemple, travailler 45 heures par semaine pendant un mois de forte activité et seulement 33 heures par semaine le mois suivant. Enfin, pour favoriser les emplois déclarés de services aux personnes (gardes d'enfants, femmes de ménage...), la Poste vendra des « chèques service » – des bons pour une heure de travail –, comprenant salaire et charges sociales. Il s'agit de simplifier les démarches administratives des employeurs.

Pour marquer sa volonté dans la lutte contre le chômage, Édouard Balladur n'hésite pas à se montrer interventionniste : le 20 septembre, il décide de geler les licenciements annoncés dans les entreprises publiques, qu'avaient pourtant approuvés leurs ministres de tutelle respectifs. Pour l'emploi, l'année 1993 aura été catastrophique : avec quelque 30 000 postes supprimés par mois, le chômage atteint 12 % de la population active.

Les privatisations

Elles doivent permettre au gouvernement de desserrer un peu l'étreinte budgétaire : au printemps, le gouvernement annonce qu'avant la fin de l'année les premières privatisations auront rapporté 43 milliards de francs. Édouard Balladur, qui était ministre d'État, de l'Économie et des Finances entre 1986 et 1988, est un expert : il a déjà à son tableau de chasse une dizaine de groupes privatisés. Il prend soin d'éviter les erreurs passées. Ainsi, pour se prémunir contre des critiques sur le choix des « groupes actionnaires stables » ou sur celui du prix de cession des entreprises, une commission de la privatisation, composée de sept sages et gardienne des « intérêts patrimoniaux de l'État », est créée. Confiée à Pierre Laurent, président de section honoraire du Conseil d'État, elle a pour mission de donner une évaluation plancher des entreprises publiques, et de choisir, parmi les candidats, ceux qui formeront le « noyau dur » du capital des privatisées. Le 31 août, le ministre de l'Économie, Edmond Alphandéry, annonce que la banque Nationale de Paris ouvrira le bal. Rhône-Poulenc, Elf-Aquitaine et la banque Hervet suivent sur la liste. En 1994, le gouvernement compte privatiser pour 55 milliards de francs d'actifs. Au total, le gouvernement estime à 400 milliards de francs les sommes qu'il peut tirer de la mise sur le marché des entreprises publiques : si son programme est respecté, il aura fait, en 1993 et 1994, un quart du chemin.

L'aménagement de la fiscalité

Il est, avec le plan quinquennal pour l'emploi et l'aménagement du territoire, le troisième grand chantier qu'a promis d'ouvrir Édouard Balladur à son arrivée. La CSG (contribution sociale généralisée), un impôt créé sous le gouvernement de Michel Rocard pour boucher les trous de la sécurité sociale, est ressuscitée par ceux qui l'avaient pourtant si vertement critiquée. Captée à la source même des revenus – tous les revenus –, elle était, en 1990, de 1,1 %, et Balladur la fait passer à 2,4 %, contre l'avis d'une grande partie de la majorité. Après avoir assuré que les contribuables pourraient déduire le surcroît de CSG des revenus imposables (un avantage pour les plus aisés), il fait machine arrière en septembre.