Dans l'inconscient collectif, il doit probablement symboliser la France du plein emploi des DS noires du pouvoir gaullien, la France d'avant la crise pétrolière, celle d'avant le lyrisme socialiste... Bref, Édouard Balladur est l'incarnation – voire même la caricature ! – de la grande tradition de la bourgeoisie française. Raide comme la vertu, il cultive une courtoisie si britannique qu'on la prend parfois pour du dédain. C'est un homme d'ordre qui croit dans les vertus des règles établies, comme un ecclésiastique dans la nécessité hygiénique et morale du bénédicité... En quelques mois, il a imposé sa marque, et ses villégiatures à Deauville ou à Chamonix font désormais partie du paysage familier de l'imaginaire populaire. Théoricien de la cohabitation, partisan d'une ligne consensuelle, mais sans concession, il était effectivement le mieux placé pour s'entendre avec cet autre animal politique à sang froid qu'est François Mitterrand.

Parmi ses qualités incontestables reste celle d'avoir débarrassé l'électorat – pour l'instant du moins – de l'infernal duo Giscard/Chirac en incarnant une troisième possibilité. Et le fait même qu'il nie cette éventualité ne fait que renforcer l'image qu'il personnifie du « modéré », de celui qui clame ne pas faire de politique politicienne tout en ne faisant que ça !

Patricia Scott-Dunwoodie

Pierre Méhaignerie

Lui qui, en 1986, lors de la première cohabitation, avait refusé le portefeuille de la Justice, sous prétexte qu'il « n'y connaissait rien », se retrouve, avec rang de ministre d'État, à garder les Sceaux dans l'équipe Balladur. Un poste éminemment politique pour ce centriste, piètre orateur, qui n'aime guère se mettre en avant, répugne à l'affrontement et avoue sa préférence pour les dossiers techniques. Ne s'était-il pas imaginé à la tête d'un grand ministère de la décentralisation ? Mais voilà, le sort en a voulu autrement.

« Je suis arrivé place Vendôme, confie-t-il modeste, avec l'œil et la candeur du citoyen qui revendique une justice égale pour tous. » Depuis, cet ingénieur agronome de 54 ans, à l'allure de grand adolescent bien sage, pur produit de la démocratie chrétienne, potasse son droit, bataille avec le très sécuritaire Charles Pasqua et, de l'avis de tous, se débrouille plutôt bien. Mais comment pouvait-il en être autrement ? A force d'insister sur sa discrétion légendaire, sa vraie ou fausse naïveté, et son côté moraliste dans un milieu qui ne l'est guère, cet homme tranquille, européen convaincu, ferait presque oublier qu'il est un vieux routier de la politique.

« Une caricature du centrisme » affirment ses détracteurs, qui ironisent sur ses hésitations et ses états d'âme. Peut-être. Mais cela semble lui réussir.

À Paris, loin des courtisans, ce timide s'est imposé : ministre de l'Agriculture avant 1981, successeur de Jean Lecanuet à la présidence du CDS. en 1982. Raymond Barre avait pensé à lui, en cas de succès à la présidentielle de 1988, pour Matignon. Dans sa Bretagne natale, en Ille-et-Vilaine, ce fils de paysan, élevé avec ses sept frères et sœurs dans la tradition du catholicisme social, s'est taillé un fief : président du conseil général, maire de Vitré et député. Il a repris la circonscription tenue par son père pendant près d'un quart de siècle. Un beau palmarès. Reste que le Centre, qui voulait, un temps, en faire son champion pour l'Élysée, s'interroge. Et s'impatiente.

Lucas Sidaine

Nicolas Sarkozy

À 38 ans, Nicolas Sarkozy de Nagy Bosca est un jeune homme pressé et très ambitieux. Il réunit d'ailleurs certains des traits de caractère de son premier père spirituel, Jacques Chirac, qu'il voulait, dès 1978, « aider à assumer pleinement le destin qui est le sien »...

Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy a fermement emboîté le pas à Édouard Balladur, et, peut-être grâce à cette nouvelle influence, ce jeune titulaire d'une maîtrise de droit privé, diplômé d'études approfondies en sciences politiques, offre au public une image désormais moins agressive. Avec ses cheveux ondulés et son profil aristocratique, on l'imagine tout à fait en jeune officier dans un film en Technicolor des années 50 de la veine des Sissi impératrice... Mais, si ce fils d'un immigré hongrois aime la pellicule, il lui préfère les caméras des actualités télévisées : depuis l'arrivée d'Édouard Balladur à Matignon, et muni de ses mandats de porte-parole du gouvernement et de ministre du Budget, il est omniprésent sur le petit écran. Cependant, contrairement à l'époque de ses premiers pas en politique, il apparaît désormais d'une façon toujours discrète, ne prenant la parole que quand ses aînés la lui offrent, jouant ainsi le rôle du fils parfait, responsable, et promis à un grand avenir...