Un terrible imbroglio pour le partage du pouvoir va alors s'engager. Le PPC ne veut pas renoncer au pouvoir et encourage dès le 11 juin la sécession de six provinces limitrophes du Viêt Nam, à l'est du Cambodge. Le mouvement de sécession est dirigé par un autre fils de Sihanouk, le prince Norodom Chakrapong, rival de son demi-frère, le prince Ranahridd (à la tête du FUNCINPEC). Le mouvement échoue le 15 juin, après l'intervention de Sihanouk, soutenu par l'ONU. Le prince Sihanouk avait, dès la fin du scrutin, pris ses distances à l'égard des Khmers rouges et proposé la constitution d'un gouvernement de coalition mettant à égalité Hun Sen et le prince Ranahridd, dans une codirection du nouveau gouvernement. Mais Sihanouk avait dû retirer son projet quatre jours plus tard, devant le refus de son fils de partager le pouvoir. C'est finalement cette solution de gouvernement de coalition « provisoire » qui sera pourtant retenue, le 16 juin, après que Sihanouk eut obtenu les pleins pouvoirs de l'Assemblée constituante, qui l'a nommé chef de l'État, par la même occasion. Le gouvernement de coalition provisoire est ainsi coprésidé par le prince Ranahridd et Hun Sen. Son Sann (leader du Parti libéral démocratique bouddhiste) est vice-président. Les ministères sont ensuite répartis entre les trois forces.

Le rétablissement de la monarchie

Une seconde vague de volte-face du prince Sihanouk, qui aura cette année renforcé sa réputation de « Prince changeant », entoure la restauration de la monarchie, à la fin de l'été. Sihanouk lance l'idée au mois d'août, puis se rétracte, demandant enfin à l'Assemblée constituante de trancher. Le 21 septembre, l'Assemblée rétablit finalement la monarchie au Cambodge et, le 24, le prince Sihanouk remonte sur le trône, pour la deuxième fois de son existence. Il avait été couronné roi du Cambodge en 1941, mais avait abdiqué en 1955 en faveur de son père, afin de se consacrer au combat politique, ce qui lui avait permis de conserver le pouvoir jusqu'au coup d'État de 1970. Redevenu roi, Sihanouk constitue alors un gouvernement de coalition ressemblant fort au gouvernement provisoire. Le prince Ranahridd et Hun Sen sont toujours coprésidents, Son Sann est vice-président, les ministères sont partagés entre les trois partis. Les Khmers rouges, qui ont tenté, un peu tard, de participer aux nouvelles structures, demeurent à l'écart, et leurs combattants ne sont plus estimés qu'entre 8 000 et 10 000 (12 000 au moment de la signature des accords de Paris).

Le bilan de la mission de l'ONU

L'ONU se prépare donc à plier bagage, mission accomplie. Le 26 septembre, le chef de l'APRONUC, Yasushi Akashi, s'en va, ainsi que plusieurs milliers de « bérets bleus ». Les 8 000 autres, ainsi que 200 fonctionnaires civils, quittent le pays fin novembre. Ne resteront plus alors que quelques dizaines de conseillers militaires (dont 50 Français) chargés de reconstituer et de former une armée nationale cambodgienne.

À l'examen, le bilan de l'ONU n'est qu'un demi-succès. Le Cambodge a servi de terrain à une course de vitesse entre diplomates américains, australiens, français, japonais et russes pour tenter d'exercer leur influence à long terme dans ce pays. Le scrutin a bien été tenu, mais la situation politique reste incertaine. Les deux coprésidents, obligés par la force des choses à composer, rivalisent pour détenir l'intégralité du pouvoir. Les Khmers rouges, actuellement abattus, n'en conservent pas moins un pouvoir de nuisance. La plus grande incertitude enfin pèse sur l'avenir du prince Sihanouk (71 ans) qui s'est avéré malgré ses sautes d'humeur être l'homme incontournable de la réconciliation nationale. Mais le monarque a annoncé fin septembre qu'il souffrait d'un cancer du côlon. En l'absence de plus amples informations, les scénarios sur sa succession se multiplient. Le prince Ranahridd semblerait à première vue le mieux placé dans la course au trône, mais la complexité de la maison royale cambodgienne révèle qu'une demi-douzaine d'autres prétendants seraient recevables, et les intrigues de cour font partie de l'histoire mouvementée du pays.

Le Cambodge saura-t-il gérer la reconstruction de son économie et, surtout, combattre désormais seul ses tentations d'autodestruction ? Le prince Sihanouk vivra-t-il assez longtemps pour assurer la réconciliation définitive de son pays ? Les dirigeants cambodgiens sauront-ils accompagner les nécessaires transitions ? Face à autant d'incertitudes, la plupart des experts internationaux préfèrent à cette heure conserver la prudence.

Christian Lechervy et Richard Pétris, les Cambodgiens face à eux-mêmes, Dossier pour un débat, Fondation pour le progrès de l'homme, février 1993.
David Chandler, Pol Pot, frère numéro un, Plon, avril 1993.

Caroline Puel