Mais c'est chez les terriens que la mutation est le plus douloureusement ressentie. Là, l'effort rhétorique – on parle de « réduction du format de l'armée de terre » – peine à dissimuler ce qui est vécu comme un véritable drame. Avec une réduction de 20 % de ses effectifs, l'armée de terre va connaître une révolution dont on estime qu'elle marquera les esprits plus que ne l'avaient fait les retours d'Indochine, puis d'Afrique du Nord. C'est du moins ce que laisse supposer ce qu'on appelle « le projet 1997 ». En effet, l'armée de terre est appelée à subir un double choc psychologique. D'une part, séparée de ses armes nucléaires préstratégiques, elle n'a plus le doigt sur le « bouton nucléaire ». D'autre part, le « projet 1997 » évoque une armée – qui a pu compter jusqu'à une quinzaine de divisions -réduite à huit divisions par rapport à 1991. Comme le soulignait le contrôleur général François Cailleteau, « les difficultés seront sérieuses ».

Industrie de l'armement

Entre 1992 et 1994, durée d'application de la loi de programmation militaire, l'industrie française de défense pourrait perdre 50 000 emplois directs et 80 000 emplois indirects. Ce phénomène devrait également toucher l'ensemble de l'industrie de la défense en Europe, qui pourrait voir disparaître un tiers des 1 500 000 emplois liés à ce type d'activité.

Diminution des effectifs : pour 1993, le budget prévoit la suppression d'un total de 22 400 postes liés à la défense (18 000 militaires, dont 16 500 appelés, et 4 000 civils). À terme, l'armée de terre passera de 280 000 à 225 000 hommes d'ici à 1997. Seuls augmenteront les effectifs de la gendarmerie (1 000 postes).

La dissuasion en question

Alors que les risques de prolifération nucléaire ne cessent d'inquiéter les militaires, le discours officiel présente toujours le nucléaire comme la « clé de voûte » de la défense nationale.

Pourtant, les chiffres laissent à penser que les dépenses au profit de la dissuasion ne présentent plus la priorité qui était la sienne depuis des décennies. La part des crédits d'équipement destinés à l'acquisition de systèmes d'armes nucléaires représentera en 1993 une baisse de 11,5 % par rapport à 1992. Le déclin est encore plus accentué en ce qui concerne le coût des essais proprement dits, puisqu'en 1993, les subventions attribuées au Commissariat à l'énergie atomique seront en diminution de 16,3 %. La direction des centres d'expérimentations nucléaires connaîtra également une baisse de crédit de l'ordre de 13,4 % par rapport à la même année de référence.

Essais nucléaires

La France entend poursuivre la suspension des essais nucléaires, qu'elle applique, unilatéralement, depuis 1992. Pour F. Mitterrand, il s'agit d'un geste de bonne volonté dont il attend la réciproque de la part des autres puissances. Paris a justifié sa position, arguant que la Russie a maintenu son moratoire et que les États-Unis ont décidé de suspendre leurs expérimentations pour neuf mois.

La France et l'OTAN

Lors d'un colloque organisé par le ministère de la Défense sur « le nouveau débat stratégique », Pierre Joxe a évoqué un engagement accru de la France dans les activités de l'OTAN.

Ce nouvel avatar de l'antienne atlantiste part d'un constat simple : à l'heure où la construction de l'Europe est ébranlée dans ses certitudes – minée par les réflexes nationalistes, soumise à la pression des pays de l'Est –, la France peut-elle accepter de ne pas être présente dans les enceintes de décision, là où s'organise la gestion des crises actuelles et où se joue la sécurité future ? Il ne s'agit pas pour autant de revenir dans les structures militaires intégrées. Sans doute, pour rassurer les tenants de l'orthodoxie gaulliste, Pierre Joxe a cité le cas de l'Espagne, présente dans de nombreux comités de l'Alliance, mais qui ne participe pas au commandement intégré de l'OTAN. Ce soudain intérêt pour l'OTAN ne saurait dissimuler le véritable bras de fer qui s'est engagé entre Paris et Washington.

La chute de l'empire soviétique éclaire sous un nouveau jour la question de la future architecture de la sécurité en Europe. Et, quand bien même la France affirme ne pas vouloir s'opposer à la présence politique et militaire des États-Unis en Europe, si Washington, au nom du nécessaire « partage du fardeau », ne peut qu'accepter le principe d'une défense européenne, la remise en question du leadership politique américain sur l'Alliance reste, de ce côté de l'Atlantique, sinon une obsession, du moins une priorité.

Pierre Joxe, en septembre : « Pourquoi ne pas concevoir que la France participe davantage qu'hier aux discussions politico-militaires ? Nous avons fait un pas en 1991 en nous associant aux travaux sur le nouveau concept stratégique. L'alliance doit évoluer. L'Europe doit se construire. Concrètement, la France doit être présente dans les enceintes de décisions ou d'échanges où s'organise la gestion des crises du présent et où s'élabore notre sécurité future. »

Coopération franco-espagnole

Paris et Madrid ont mis à l'étude la conception en commun d'un sous-marin d'attaque à propulsion classique qui pourrait équiper la marine espagnole et serait proposé à l'exportation. Le programme est baptisé « Scorphène », un poisson épineux plus connu sous le nom de rascasse.

L'eurocorps : en mai, le chancelier Kohl et le président Mitterrand ont annoncé la création d'un corps d'armée franco-allemand de 35 000 hommes, ouvert à d'autres pays européens, et opérationnel en 1995. À terme, il doit constituer l'amorce d'une force européenne. Pour tenter de désamorcer les craintes américaines, cet eurocorps serait à la disposition de l'UEO (l'Union de l'Europe occidentale), et placé « sous l'autorité d'un commandement de l'OTAN en cas d'agression ».

Philippe Faverjon