La corruption

Paradoxalement, tout dispositif visant à endiguer la corruption en favorise souvent l'extension. Soumettre au régime de l'autorisation administrative la transformation d'appartements en bureaux, c'est exposer les fonctionnaires chargés de la délivrer à l'offre corruptrice des marchands de biens, comme c'est le cas, notamment, en Île-de-France. Subordonner la création de grandes surfaces à l'appréciation de commissions départementales d'urbanisme, créées en vertu de la loi Royer (JO, 30 décembre 1973) destinée à l'origine à protéger le petit commerce, c'est faire des membres de ces dernières les otages des promoteurs d'hypermarchés. Transférer aux communes, aux départements, aux Régions, la responsabilité d'établir et de modifier les POS (plans d'occupation des sols), de délivrer les permis de construire, de déterminer de très nombreux équipements collectifs, en application de la loi Defferre promulguée le 3 mars 1982, c'est, au nom de la décentralisation, exposer les détenteurs des pouvoirs locaux aux sollicitations alléchantes et, bien entendu, intéressées des entrepreneurs.

Les maires

Principaux lanceurs d'appels d'offres en la matière, les maires sont à la fois les premiers bénéficiaires et les principales victimes d'un système qui vise à rapprocher les citoyens des décideurs politiques. Membre de la commission qui concéda à la SEMAT les opérations « Port-Fréjus », François Léotard, maire de Fréjus et président d'honneur du PR, est accusé par un promoteur évincé de l'affaire « Port-Fréjus », René Espanol, puis inculpé le 29 juin 1992 par un magistrat lyonnais pour avoir acquis à un prix sous-évalué (1 200 000 F) une maison, dite « de Sainte Croix », dont le vendeur, Henri Meyer, était l'administrateur de la SEMAT, société chargée de cette réalisation. Si l'ingérence, le trafic d'influence et la corruption restent à prouver dans la conclusion de ce contrat qui brise temporairement l'élan politique de ce candidat à la présidence de la République, il n'en est pas de même pour le député socialiste d'Angoulême, Jean-Michel Boucheron, et pour l'ex-maire RPR de Nice, Jacques Médecin. L'exercice du pouvoir d'État est plus directement corrupteur, comme le prouve l'affaire du Carrefour du développement, association fondée en 1953 pour promouvoir les rapports Nord-Sud et finalement chargée d'organiser le sommet franco-africain de Bujumbura en 1984, sous l'autorité d'Yves Chalier. Celui-ci est finalement reconnu coupable de détournements de fonds publics pour un montant de 26 984 176 F. Y. Chalier est condamné le 1er avril 1992 à cinq ans de réclusion criminelle pour un crime qu'il n'aurait pas pu commettre sans l'ombre protectrice du ministre de la Coopération de l'époque, dont il était le chef de cabinet, Christian Nucci. Et nul ne saura sans doute jamais si ce dernier a laissé faire par inconscience, par incompétence ou par intérêt. Il bénéficie en effet des dispositions de l'article 19 de la loi du 15 janvier 1990 amnistiant les crimes et les délits liés au financement des partis politiques.

Les réseaux

Rendu plus difficile par la crise économique et par le désintérêt des citoyens à l'égard de la chose publique, désintérêt qui entraîne une diminution du nombre des militants et donc du montant des cotisations encaissées, ce problème de financement est encore aggravé en période électorale. Période coûteuse en affiches, en tracts, en locations d'espaces publicitaires, de salles de réunion, de moyens de transport, etc. Pour répondre à l'ampleur de tels besoins, des entreprises de collecte de fonds sont mises en place par les partis politiques et par leurs élus. Non sans retombées parfois personnelles au profit de certains d'entre eux ; URBA et la SAGES pour le compte du Parti socialiste, GIFCO pour celui du Parti communiste, ont ainsi joué le rôle de véritables holdings dont les filiales prélevaient une commission. Celle-ci représentait, en général, 3 % du marché que ces holdings faisaient attribuer par les élus aux entreprises qu'ils sollicitaient à cet effet, et qui ristournaient à ces mêmes élus une partie du profit retiré. Gérard Monate, P-DG d'URBA, fut condamné à 15 mois de prison avec sursis et à 30 000 francs d'amende par la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le 31 janvier 1992. Mais en rebondissant au Mans, d'où le juge Thierry Jean-Pierre n'avait pas hésité à venir perquisitionner le 7 avril 1991 au siège parisien de ce bureau d'études, ce scandale financier avait pris une dimension nationale, que confirma Renaud Van Ruymbeke. Bien soutenu par sa hiérarchie, et notamment par le premier président de la cour d'appel de Rennes, celui-ci fait perquisitionner, le 14 janvier, au siège parisien du PS, rue de Solférino. Il découvre ainsi que URBA a mis en place dans toute la France un réseau destiné à financer les activités de cette organisation politique. Ce que tend à prouver l'ouverture d'une enquête, à Lyon, dès décembre 1991, sur plainte contre X déposée par un député européen des Verts, et la nouvelle inculpation, le 24 mars 1992, de Gérard Monate, cette fois pour l'affaire du Mans. Mais là, URBA se révèle avoir une rivale : la SAGES. Dirigée par Michel Reyt, qui est incarcéré du 24 février au 10 septembre 1992, cette société aurait réservé aux élus deux tiers des commissions perçues sur les marchés conclus par son intermédiaire, contre 30 % seulement chez URBA. Aussi, ses « clients » auraient-ils été nombreux : Jean-Michel Boucheron à Angoulême, Raymond Douyère et Robert Jarry au Mans, Claude Germon à Massy, Jacques Guyard à Évry, et même un ancien conseiller du chef de l'État, le sénateur Guy Penne ! Enfin, les aveux d'un industriel nantais, René Trager, emprisonné en 1991 pour de nombreuses infractions financières, révèlent que cet homme d'affaires aurait consenti d'importantes ristournes à des collaborateurs du maire socialiste de Saint-Nazaire Joël-Guy Batteux ou du ministre de la Santé Georgina Dufoix, lorsque celle-ci décida de doter l'hôpital de Nîmes d'un équipement de radiologie lourde (IRMN) acheté en Suisse à la société américaine FONAR, en 1985.

Réagir

L'importance des fonds manipulés par ces réseaux rendait inévitable l'inculpation de celui qui aurait exercé les fonctions de trésorier du PS de juillet 1988 à janvier 1992 : Henri Emmanuelli, président de l'Assemblée nationale. Le 14 septembre, l'État était ainsi frappé à la tête !