L'Asie, continent où la production cinématographique est encore importante, ne nous donna pas, à l'exception de Qiu Ju une femme chinoise, de Zhang Yimou (Lion d'or à Venise, et dont le précédent film Épouses et concubines resta plusieurs mois à l'affiche), de réel sujet de satisfaction. L'Eunuque impérial, du Chinois Tian Zhuabgzhuang (jadis auteur d'un merveilleux et poétique Voleur de chevaux), revient à un académisme d'un autre âge pour nous narrer une tranche d'histoire. Malgré d'évidentes qualités de récit, Cinq Filles et une corde, du Taïwanais Yeh Hung Wei, ne possède pas la force et la maîtrise des films de son compatriote Hou Hsiao-hsien.

L'Iranien Abbas Kiarostami gagne, avec Et la vie continue, de très nombreux supporters en France et en Europe. Son style, mélange très subtil de documentaire et de fiction, fascine les cinéphiles. L'année 1992 est aussi celle où décéda le plus grand cinéaste indien, Satyajit Ray, dont le dernier film, Agantuk, est à nouveau une réflexion sur les thèmes chers à l'auteur : l'opposition entre modernisme et tradition, l'effritement des valeurs familiales, la recherche d'un nouvel humanisme...

Un des phénomènes les plus marquants de l'année est constitué par la sortie (assez désordonnée) de quelques productions de l'Est (essentiellement russo-polonaises, à l'exception du film roumain le Chêne de Lucian Pintilie). Ainsi se côtoient les derniers représentants de la perestroïka (le Jour de l'éclipsé, du Russe Alexandre Sokourov, 1988, et l'Évasion du cinéma Liberté du Polonais Wojciech Marczewski, 1990), produits lourds et allégoriques, et les nouvelles coproductions avec la France : Une vie indépendante, de Vitali Kanevski (CEI), Luna Park, de Pavel Lounguine (CEI), films virulents sur l'URSS d'hier et la Russie d'aujourd'hui, mais qui prolongent les thèmes déjà abordés par ces cinéastes dans leurs précédents films (des opera prima).

Complexité du cas américain

Les mesures protectionnistes évoquées en début de texte ne peuvent, hélas, se substituer à la qualité des films. À l'exception des Enfants volés de l'Italien Gianni Amelio, des œuvres britanniques Edward II (Derek Jarman) et Retour à Howards End (James Ivory), de Lunes de fiel de Roman Polanski (battant pavillon franco-britannique) et de la surprenante Divine Comédie du vétéran portugais Manoel de Oliveira, bandes réalisées par des cinéastes confirmés et qui prolongent ici leurs thématiques respectives, on n'a guère vu apparaître de nouveaux créateurs européens marquants. Exception faite d'Arnaud Desplechin et du trio belge de C'est arrivé près de chez vous.

En revanche, et probablement à cause de la grande étendue de la distribution, le cinéma américain ne s'est pas distingué uniquement par ses prouesses au box-office, d'ailleurs très relatives : en fin d'année, seuls deux films des États-Unis, Basic Instinct (Paul Veroheven) et l'Arme fatale 3 (Richard Donner), devancent l'Amant de Jean-Jacques Annaud.

David Cronenberg (d'origine canadienne), avec le Festin nu, et Steven Soderbergh, avec Kafka, trouvent une traduction cinématographique juste à l'univers des écrivains (William Burroughs pour le premier et l'auteur du Procès pour le second) dont ils piègent à la fois la vie et l'œuvre, quitte à trahir l'une et l'autre au profit d'une certaine pertinence artistique. Mais on retrouve aussi la griffe de Kafka dans Ombres et Brouillard, un des films les plus pessimistes de Woody Allen.

D'autres auteurs confirmés comme David Lynch (Twin Peaks), Martin Scorsese (les Nerfs à vif), Clint Eastwood (Impitoyable), Robert Altman (The Player) poursuivent une réflexion (pas toujours justement comprise) sur l'état des mythologies américaines de l'époque westernienne à nos jours : les concepts de violence, de famille et de spectacle y sont pertinemment mis en perspective.

Après la « vision auteuriste » des choses, on note, comme chaque année, en provenance du Nouveau Continent, des films à contenu sociopolitique qui souvent atteignent leur cible. JFK, d'Oliver Stone, présente un dossier très complet (même s'il est parfois subjectif) du cas Kennedy et laboure en profondeur la bonne conscience américaine. L'acteur Tim Robbins fit, cette année, sensation à Cannes avec son premier film Bob Roberts, une fiction, filmée comme un reportage, sur la campagne électorale d'un chanteur de folksong d'extrême droite qui se porte candidat au Sénat. Ce politicien imaginaire, mais qui est un patchwork de personnages existant réellement, provoque de profonds malaises chez les spectateurs.