L'année 1991 a également vu la confirmation de talents singuliers comme ceux de Jacques Rivette (la Belle Noiseuse, Grand Prix de la Ville de Cannes lors de son édition du mois de mai), Maurice Pialat (Van Gogh), André Téchiné (J'embrasse pas), Alain Corneau (Tous les matins du monde), Philippe Garrel (J'entends plus la guitare). Avec son troisième film, Paris s'éveille, Olivier Assayas, qui se tient hors de toutes les modes, réussit à s'imposer comme un cinéaste avec lequel il faut désormais compter.

Attendus depuis trois ans à cause d'incidents de tournage, d'un budget progressivement gonflé jusqu'à la démesure, les Amants du Pont-Neuf, de Leos Carax, ne furent pas à la hauteur de ce qu'on en espérait au vu des premiers films-météores du jeune prodige (Boy meets girl, 1984, et Mauvais Sang, 1986). Hésitant entre le film intimiste et le mélodrame à ample mise en scène, Carax livre une œuvre bâtarde qui ne manque certes pas de lyrisme mais qui s'avère incapable de meubler ses 2 heures 5 minutes de projection. Déception encore plus cuisante pour Éric Rochant, qui avait fait sensation en 1989 avec son premier film, Un monde sans pitié, manifeste désabusé d'une génération qui vit au jour le jour, coupée de tout idéal. Avec Aux yeux du monde, Rochant abandonne son style impressionniste fondé sur l'observation de petits faits quotidiens pour se lancer dans une aventure de type policier, genre qu'il ne maîtrise absolument pas. En dehors donc de tentatives isolées s'approchant du fantastique, les cinéastes français qui « comptent » et marquent l'année (Pialat, Rivette, Téchiné) travaillent sur un matériau réaliste qu'ils savent dégrossir à merveille.

De tout ce qu'il était convenu d'appeler, il n'y a pas longtemps, le tiers-monde, seule l'Asie (avec en tête les « trois Chine » : la populaire, Taiwan et Hongkong) continue à faire parler d'elle et à rogner quelques parts d'un marché culturellement très fermé. Zhang Yimou, cinéaste exemplaire de la 5e génération (arrivée à maturité après la Révolution culturelle), devient, avec deux films sortis cette année (Ju Dou et Épouses et concubines) et centrés sur le sort des femmes, un peu mieux connu en France. Les distributeurs sortent également les œuvres demeurées inédites du Taïwanais Hou Hsiao-hsien (Poussières dans le vent, 1986) – qui obtint le Lion d'or à Venise en 1989 pour Cité des douleurs – et de King Hu (All the King's Men, 1983), auteur en 1969 du fameux Touch of Zen, premier grand classique du film d'arts martiaux de Hongkong.

L'Iran aussi connaît un regain d'intérêt dans les festivals internationaux et les revues spécialisées. La timide libéralisation intervenue au sein du régime permet la floraison d'œuvres aux thématiques variées. Le cinéaste le plus familier du public français est Abbas Kiarostami, dont deux films, Close up (1990) et Devoirs du soir (1989), documentaires « retouchés » sur la réalité sociale ambiante, connurent une sortie en salle cette année.

Avant sa dislocation, l'URSS ne présentait plus que des films esthétiquement boursouflés (l'Assassin du tsar, de Karen Chakhnazarov, Anna Karamazova, de Roustam Khamdamov, vus à Cannes en mai). Des cinéastes expérimentés comme Kira Mouratova (le Syndrome asthénique, 1989) ou Nikita Mikhalkov (Urga, 1991, coproduit par la France) arrivent à se maintenir, mais pour combien de temps ? On attend maintenant une relève : Nuage-paradis, du Russe Nikolaï Dostal (sorti le 4 décembre), qui piège avec simplicité le désarroi d'un jeune homme demeuré sans but, en fait peut-être déjà partie.

À la date du 17 décembre, quatre films américains (Danse avec les loups, de Kevin Costner, Terminator 2, de James Cameron, Robin des bois, prince des voleurs, de Kevin Reynolds, et le Silence des agneaux, de Jonathan Demme) dominent le box-office français. Le deuxième et le quatrième sont des films fantastiques, ce qui démontre la solidité du genre qui se nourrit des découvertes technologiques (Terminator 2, mais aussi Hardware de Richard Stanley), de la peur de l'au-delà (l'Expérience interdite, de Joel Schumacher, les Ailes de la renommée, de Otakar Votocek) et de l'érosion des valeurs en général (Henry, portrait of a serial killer, de John McNaughton). Notons que les questionnements surgis de la prolifération des nouvelles images (images de synthèse, prothèses de simulation sensorielle) n'alimentent pas uniquement le cinéma de genre : Wim Wenders construit avec Jusqu'au bout du monde une angoissante allégorie sur notre proche devenir encombré de « machines à communiquer » (titre d'une pertinente exposition qui se tient à la Cité des sciences du 25 octobre 1991 au 12 juillet 1992).