Autre grand mort, l'Italien Alberto Moravia a remporté un grand succès posthume avec Vita di Moravia (Bourgois), passionnants entretiens avec son compatriote Alain Elkann, et un dernier roman, paru après sa mort, la Femme léopard (Flammarion). L'essayiste Pietro Citati, avec Histoire qui fut heureuse puis douloureuse et funeste (Gallimard), évocation subtile et nostalgique d'une histoire d'amour aux beaux temps du romantisme, a obtenu le prix Médicis étranger.

Après la redécouverte de l'immense poète qu'est Fernando Pessoa, dont la traduction des œuvres inédites se poursuit (La Différence), le Portugal nous a offert un très grand écrivain contemporain, Antonio Lobo Antunes, avec l'Explication des oiseaux (Bourgois), tandis que Virgilio Ferreira recevait le prix Europalia pour son roman Jusqu'à la fin (La Différence).

D'Allemagne est venue la résurrection d'un iconoclaste magnifique, Arno Schmidt, publié par Bourgois : Scènes de la vie d'un faune et Léviathan. Très apprécié du public français, Peter Handke a publié deux livres à succès : un roman passablement ennuyeux, l'Absence, et un essai plus intéressant sur la Fatigue (Gallimard). Par ailleurs, la fin de l'année a vu paraître un recueil de pièces radiophoniques, le Vent et la Mer, un essai sur sa position par rapport à l'écriture, J'habite une tour d'ivoire, et des entretiens, Espaces intermédiaires (Bourgois). On est en droit de lui préférer deux grands maîtres de la prose allemande : Ernst Jünger, dont un roman de jeunesse a été traduit par les Éditions Viviane Hamy : Sturm ; et le Suisse de langue allemande Paul Nizon, présent avec un de ses premiers livres, Canto, et un essai sur son œuvre, Marcher à l'écriture (Actes Sud).

L'Amérique latine et l'Espagne, en revanche, n'ont pas envahi les vitrines des libraires. On ne trouve guère d'important à recenser qu'un roman de Carlos Fuentes, Colomb et son œuf (Gallimard).

Le prix Nobel est allé cette année à la romancière sud-africaine d'expression anglaise Nadine Gordimer. Toute son œuvre est une dénonciation de l'apartheid en même temps qu'une célébration des paysages de l'Afrique du Sud. « À travers ce prix, a-t-elle déclaré, c'est toute la littérature sud-africaine qui a lutté pour le même idéal qui a été honorée. » Entre autres, les romans d'André Brink, dont les deux tomes de Un acte de violence (Stock), méditation sur la violence et le terrorisme, sont parus à la fin de l'année.

Bruno de Cessole

Littérature française

Dans les annales de l'édition, l'année 1991 ne restera pas marquée d'une pierre blanche. La guerre du Golfe et ses séquelles auront été, de fait, cause ou prétexte d'un net fléchissement des ventes en librairie.

Simple crise passagère ou crise structurelle plus profonde dont la tension internationale aura été le révélateur ? Les indices les plus nombreux donnent à penser que la seconde hypothèse est la bonne : tout se passe comme si l'offre éditoriale se révélait de moins en moins adaptée à la demande des lecteurs. Pourtant, les programmes des éditeurs ont offert une abondante moisson d'écrivains de premier plan, habituellement fêtés par le grand public. Mais le succès de quelques-uns dissimule mal la mévente du plus grand nombre et la morosité générale qui affecte l'économie du livre.

C'est donc dans une espèce d'indifférence feutrée que s'est déroulée la course aux prix de l'automne. Il se peut que le lauréat du prix Goncourt, Pierre Combescot, ait paradoxalement profité du climat morne de la rentrée littéraire. Son gros roman, les Filles du Calvaire (Grasset), évocation colorée des tribulations d'une famille juive de Tunisie, renouait avec la veine des grands feuilletons du xixe siècle et s'imposait en effet par la verve débridée de l'imagination, le picaresque des situations et la truculence d'une écriture baroque.

Avec la Séparation (Seuil) de Dan Franck, le prix Renaudot semble avoir voulu récompenser une histoire et un style simples, dont la banalité émouvante a fait « pleurer Margot ». Le chanteur et romancier Yves Simon a obtenu le prix Médicis pour la Dérive des sentiments (Grasset), ballade douce-amère des déceptions ordinaires, tandis que Paula Jacques recevait le Femina pour Deborah et les anges dissipés (Mercure de France). En attribuant son Grand Prix du roman à l'Infortune (Gallimard) de François Sureau, l'Académie française a voulu rendre justice à un livre original et fort beau qui avait figuré parmi les favoris du Goncourt en 1990. Enfin, l'Interallié a consacré Sébastien Japrisot pour Un long dimanche de fiançailles (Denoël), magnifique portrait de femme aux prises avec le souvenir et le malheur au plus fort de la Grande Guerre.