Fiévreuse Afrique

En Afrique, la contestation des pouvoirs en place, inscrite dans une crise sociale profonde, survient au moment où le devenir du continent est plus que jamais incertain. À la marginalisation économique et commerciale s'ajoute en effet une diffusion de l'« afropessimisme », d'une indifférence générale contrastant avec l'engouement dont bénéficient l'Europe centrale et l'Europe orientale.

Discutée au sommet franco-africain de La Baule (20-21 juin), la nécessaire relation entre le fonctionnement démocratique des États et la lutte contre la pauvreté a été au cœur des débats et des affrontements qui ont marqué l'année 1990. Au XVIe sommet de l'Organisation de l'unité africaine, présidé par l'Ougandais Yoweri Museveni, les chefs d'État africains ont réitéré, le 11 juillet, leur engagement à démocratiser les sociétés en toute souveraineté, hors des pressions extérieures tendant à lier l'aide économique à la réforme politique. Mais ils n'avaient guère le choix, tant ont été violentes les crises qui ont ébranlé la plupart des régimes en place, quelles que soient leurs orientations politiques affichées.

Sortir du guêpier

Ces crises ont partout revêtu la même apparence : les contestations d'origine universitaire et lycéenne ont été activement relayées par des manifestations de rue associant fonctionnaires et salariés touchés par la baisse du pouvoir d'achat. Certaines secousses, vite réprimées, au Cameroun (mai), au Kenya (février, juillet), au Niger (février, juin), au Togo (octobre) n'ont eu aucune suite politique immédiate. En revanche, l'ouverture politique apparaît bien comme une conséquence de la pression de la rue en Côte-d'Ivoire et au Gabon, pays jusqu'ici réputés pour leur stabilité. En mettant violemment en cause, durant tout le premier semestre, les politiques d'austérité et ceux qui les conduisent, les manifestants ont contraint les chefs d'État à évoluer pour sortir du guêpier.

Certes, les résultats des élections, législatives au Gabon (octobre) et présidentielles en Côte-d'Ivoire (28 octobre), ont été contestés, mais les oppositions peuvent désormais s'exprimer officiellement. Ailleurs, volontairement ou non, d'autres dirigeants ont préféré prendre les devants. Au Bénin, la République n'est plus « populaire ». Signe des temps, les régimes qui se réclamaient du marxisme abjurent leur ancienne foi : l'Angola, le Mozambique, le Congo et même l'Éthiopie affichent leurs ambitions d'ouverture. À l'autre extrême, le président zaïrois Mobutu a annoncé des élections pluralistes pour janvier 1991, promesse qui n'effacera toutefois pas le massacre d'étudiants, à Lumumbashi, dans la nuit du 11 au 12 mai.

C'est évidemment en République sud-africaine que l'évolution est le plus spectaculaire. La libération de Nelson Mandela, le 11 février, après 27 ans d'emprisonnement, est plus qu'un symbole. Précédée, le 2 février, par la légalisation du Congrès national africain (ANC), du Congrès panafricain (PAC), du Parti communiste (SACP), et par la levée de l'état d'urgence, cette libération a accéléré la réforme du système d'apartheid. Le 19 avril, le président De Klerk a précisé sa politique de changement : remplacement du Group Areas Act (GAA) dès 1991 par un texte moins discriminatoire, présentation d'un nouveau système constitutionnel de type fédéral, modification de la loi sur la terre (Land Act) datant de 1936. En engageant directement les négociations avec l'ANC, F. De Klerk a franchi une étape, envisageant même de gouverner avec Nelson Mandela (24 octobre).

Ces avancées ne se produisent cependant pas sans heurts. À la mobilisation de l'extrême droite blanche (Pretoria, 15 février) fait écho celle des adversaires radicaux noirs de l'ANC, dont la puissante Inkhata. L'escalade des violences et des luttes fratricides au Natal, où l'état d'urgence n'a été levé que le 18 octobre, ainsi que dans les townships de Johannesburg, témoigne des difficultés à construire pacifiquement la nouvelle Afrique du Sud. Le dialogue ouvert, en octobre, entre l'ANC et l'Inkhata, devrait cependant contribuer à faire évoluer la situation.

Le cumul des conflits

Si les fragiles ouvertures démocratiques font naître un timide espoir, la permanence de conflits armés de toute nature − 13 au total − est lourde de menaces. Certes, la Namibie, après 75 ans d'occupation sud-africaine et 23 ans de guérilla, a pu enfin accéder à la souveraineté le 21 mars et le pays devenir le 160e membre de l'Organisation des Nations unies le 23 avril. Mais d'anciens foyers de guerre sont toujours très actifs. En Éthiopie, le président Mengistu a reconnu, le 25 juin, que le pays était au bord de l'effondrement : l'Érythrée et le Tigré sont totalement contrôlés par les armées insurgées, qui ont remporté une victoire commune décisive en prenant le port de Massaoua (30 avril). Les négociations entre les maquisards de la Renamo et le gouvernement mozambicain ont échoué en juin, alors qu'en Angola le début de l'année a été marqué par de violents combats entre les Forces armées nationales (FAPLA) et l'Union nationale pour l'indépendance (UNITA), dans le sud-est du pays.