À la bataille des otages vient bientôt s'ajouter celle des ambassades, lorsque Bagdad exige la fermeture de toutes les missions diplomatiques étrangères au Koweït avant le 24 août. Pour briser la cohésion de ses adversaires, Saddam Hussein procède à des mesures de libération sélectives « au compte-goutte » pour récompenser ceux qui, selon lui, se montrent « les moins agressifs ».

La France est l'un des pays avec lesquels le président irakien s'efforce de maintenir contre vents et marées des relations privilégiées. Il a interprété comme un signe de « faiblesse » la modicité et la lenteur de la réponse militaire française au début de la crise et passe sous silence la décision de Paris de renforcer très sensiblement ses effectifs dans le Golfe, portés à un total de 13 000 hommes. Bien au contraire, il félicite le président Mitterrand lorsque ce dernier affirme dans son discours aux Nations unies le 24 septembre que « tout deviendra possible » si Saddam Hussein proclame, « son intention de retirer ses troupes du Koweït ». La « récompense » ne tarde pas : le 23 octobre, elle se présente sous la forme de la libération inconditionnelle des 327 Français encore détenus au Koweït et en Irak. Fin octobre, la France et la plupart des pays représentés dans l'émirat évacuent leurs ambassades soumises depuis plus de deux mois à un sévère blocus. Ils sont suivis, en décembre, par les États-Unis.

L'escalade verbale se développe : déclarations belliqueuses et mises en garde se multiplient à Washington comme à Bagdad. Le 8 novembre, pour la première fois depuis le début de la crise, le président Bush menace clairement l'Irak d'une action militaire offensive pour le contraindre à quitter le Koweït. La perspective d'un recours à la force contre, l'Irak se précise avec la décision des États-Unis de porter le total de leurs effectifs dans le Golfe de 210 000 hommes à environ 400 000. Le président n'a cependant pas encore réussi à convaincre les Américains et le Congrès de la nécessité d'une solution militaire et de son objectif exact : libération du Koweït ou destruction de la puissance militaire irakienne ? Au sein de la coalition, certains de ses partenaires semblent encore estimer qu'il est urgent d'attendre avant de déterminer si les sanctions économiques qui commencent à se faire sentir en Irak sont de nature à faire céder Saddam Hussein.

Au bord de l'abîme

Rien ne semble cependant devoir ébranler la détermination du chef de l'État irakien, pas même la sévère mise en garde adressée fin novembre par M. Gorbatchev qui, jusqu'alors, s'était montré plutôt compréhensif à l'égard de l'Irak, ni la résolution 678 de la « dernière chance » du Conseil de sécurité de l'ONU, qui se prononce en faveur d'un éventuel recours à la force contre l'Irak et lui fixe la date-limite du 15 janvier 1991 pour évacuer le Koweït. Même lorsqu'il accepte le 1er décembre l'offre de M. Bush d'entamer des discussions de haut niveau entre Washington et Bagdad et décide de libérer tous les otages encore détenus en Irak et au Koweït, il demeure intraitable sur le fond en réaffirmant le caractère irréversible de l'occupation du Koweït et en exigeant à nouveau la « solution globale » de tous les problèmes du Proche-Orient, et, en premier lieu, de celui de la Palestine.

Le 31 décembre, quinze jours avant l'expiration de l'ultimatum adressé par le Conseil de sécurité à l'Irak, on ne savait toujours pas si la guerre du Golfe pourrait être évitée. Le dialogue proposé par M. Bush semblait compromis. Les deux parties étaient apparemment désireuses d'éviter une confrontation militaire qui s'annonçait catastrophique, mais la politique du bord de l'abîme, suivie aussi bien par Washington que par Bagdad pour obtenir le maximum de concessions de la part de l'adversaire, risquait de précipiter l'épreuve de force.

Jean Gueyras
Jean Gueyras est rédacteur au service de politique étrangère du Monde, où il est chargé du Moyen-Orient.