Bousculant sur leur passage les barricades érigées par la population, laissant derrière eux de nombreux morts et de nombreux blessés, les soldats, épaulés par les blindés, convergent vers la place Tiananmen. Les images diffusées par les télévisions étrangères montrent des cadavres à l'abandon, une colonne de chars incendiés par les manifestants et aussi un jeune homme se dressant seul, mains nues, devant les chars qu'il arrête. Arrivés sur la place, que les étudiants sont en train d'évacuer, les soldats les poursuivent avec la plus grande brutalité.

Combien y a-t-il de morts, de blessés, puis d'arrestations et d'exécutions ? Des milliers sans doute, bien qu'il soit impossible de dresser un bilan précis de la répression. Bientôt, les premières exécutions sont annoncées à Shanghai.

Les contestataires se cachent ou tentent de passer à l'étranger : certains réussissent leur évasion, comme les intellectuels Yan Jiaqi et Chen Yizi ou l'étudiant Wu'er Kaixi. Fang Lizhi se réfugie à l'ambassade américaine. Les médias, épurés, changent de ton et diffusent à longueur de journée des images d'arrestations, de condamnations, des appels à la délation et des discours menaçants. L'image d'une Chine ouverte et réformiste a vécu et le régime se retrouve isolé par une condamnation internationale quasi unanime.

« Rien n'a changé »

Le 9 juin, Deng Xiaoping, que la rumeur avait dit mort, fait sa réapparition en prononçant un violent réquisitoire contre les manifestants, qualifiés de « contre-révolutionnaires ». Mais, en même temps, le vieux dirigeant met en garde contre toute remise en cause des réformes économiques par les conservateurs qui voudraient profiter des événements pour revenir à une économie centralisée, planifiée et refermée sur elle-même.

En effet, sont bientôt critiqués tour à tour le secteur privé, l'autonomie économique des entreprises et des régions – à l'encontre desquelles de strictes mesures de contrôle sont prises –, et la coopération avec les pays occidentaux ; sont en revanche encouragés la planification, les communes populaires et le développement de relations plus étroites avec les pays de l'Est. L'Ouest et Hongkong sont accusés d'avoir soutenu la « contre-révolution » et de donner asile aux dissidents, qui, en septembre, s'organisent à Paris en un « Front pour la démocratie en Chine ». La France et les États-Unis sont tout particulièrement visés et sont accusés de s'ingérer dans une « affaire intérieure chinoise ».

« La Chine ne s'inclinera jamais devant les pressions extérieures », affirme Li Peng ; d'ailleurs, les dirigeants assurent que rien n'a changé après cette « simple opération de police », que tout continue comme avant et que les hommes d'affaires et les capitaux étrangers sont toujours les bienvenus. Toutefois, les régions rurales, restées calmes pendant les troubles, commencent à être touchées par la récession économique, et se plaignent que leurs récoltes soient payées en bons sans valeur.

À reculons

Réunie secrètement à Pékin le 24 juin, la direction du PCC, à laquelle se sont joints les vétérans, qui, en dépit de leur retraite officielle, continuent d'avoir voix prépondérante, démet Zhao Ziyang de toutes ses fonctions – chose inouïe en Chine, il avait refusé de faire son autocritique ! – et nomme à sa place un personnage falot, Jiang Zemin, secrétaire du parti pour Shanghai. Candidat de Deng Xiaoping contre les ultras, il devient ainsi le troisième successeur désigné du « numéro un » en moins de trois ans. Les conservateurs n'en renforcent pas moins leur emprise sur l'appareil. Le 9 novembre, lors de la réunion du plénum du Comité central, Deng démissionne au profit de Jiang Zemin et abandonne sa dernière position officielle, celle de président de la Commission militaire du parti, qui lui avait permis de contrôler l'armée pendant plus de dix ans. Le président Yang Shangkun, qui briguait ce poste, se contente de la première vice-présidence, tandis que son frère, le général Yang Baibing, l'un des principaux responsables du massacre de Pékin, en devient le secrétaire général. Alors que l'Europe de l'Est et l'Union soviétique poursuivent leur ouverture politique à un rythme accéléré, la Chine, qui avait pourtant donné l'exemple pendant presque toute la décennie, semble marcher à reculons. Pour avoir négligé la libéralisation politique alors qu'elle avait entrepris les changements économiques les plus profonds et les mieux réussis des pays socialistes, la Chine se trouve dans une position de déséquilibre d'autant plus périlleuse qu'une population jeune, ouverte et dynamique s'est maintenant séparée de la vieille garde toujours pétrie de stalinisme.

Un compromis

La nouvelle équipe au pouvoir à Pékin représente un compromis entre les réformistes qui ont survécu au limogeage de Zhao Ziyang, technocrates dont le régime a besoin pour continuer de fonctionner et pour montrer qu'il n'a pas changé, et les tenants de la ligne dure favorables à un communisme à l'ancienne manière. Entre les deux groupes se dresse l'énigmatique figure de Qiao Shi, responsable de la sécurité, qui joue un jeu d'équilibre subtil.