La politique a donc aussi ses conséquences sur le monde de l'art. Le même phénomène pourrait se produire du côté de l'Est, dans un avenir peut-être plus proche qu'on ne le pense. Des ventes et des expositions d'artistes soviétiques ou tchèques sont déjà organisées. Voici deux ans, Sotheby's montait ainsi à Moscou sa première vente de peintres russes contemporains.

Mais pour les professionnels de l'art, l'Est est toujours synonyme de soleil levant, capitale Tokyo. Sur cette place, désormais incontournable, Sotheby's, Christie's et Drouot ont chacun leur bureau permanent, et il ne se passe pas, dans le monde, une grande vente de tableaux ou de vases de Daum et de Galle, sans une petite exposition au Japon. Le système des ventes en duplex permet des enchères simultanées, comme ce fut le cas pour les Noces de Pierrette. Parfois, la vente a lieu carrément à Tokyo, comme celle d'une collection (japonaise il est vrai) de tableaux de Bernard Buffet, à des prix qui dépassèrent souvent le million, voire les trois millions de francs.

Picasso superstar

L'Homme de l'année, pour le monde du marché de l'art, c'est incontestablement Pablo Picasso. Jamais on n'avait autant parlé du maître de Mougins, depuis sa disparition en 1973. Jamais on n'avait vu autant de ses œuvres magistrales en vente publique, et jamais les prix n'avaient été aussi élevés puisque huit enchères, en un an, ont dépassé les 15 millions de dollars. Picasso est aujourd'hui le peintre le plus cher du monde.

Il est intéressant de constater que ces enchères successives concernent presque toutes des toiles ou des gouaches de la toute première période : bleue, rose... et multicolore, entre 1901 et 1906. Des œuvres aimables et romantiques : Arlequins mélancoliques, maternités pleines de tendresse.

À ces œuvres vedettes, il faut ajouter les innombrables gravures, dessins, collages, qui remplissent des colonnes entières de « résultats de vente », et participent de la même vertigineuse ascension.

Un seul exemple permet de mesurer le rythme de la progression de Picasso. En 1975, l'autoportrait Yo Picasso était adjugé à Londres l'équivalent de 2 650 000 F ; en 1981, il atteignait à New York 30 200 000 F ; en mai 1989, toujours à New York, l'enchère montait jusqu'à 310 millions.

Picasso : les dix meilleures enchères

Yo Picasso, autoportrait, New York, 47,8 M $* (310 M F**).

Les Noces de Pierrette, Paris, 300 M F.

Au Lapin agile, New York, 40,7 M $ (264,5 M F).

Acrobate et Jeune Arlequin, Londres, 20,9 M £*** (209 M F).

Le miroir, New York, 26,7 M $ (172 M F).

Maternité, New York, 24,7 M $ (137 M F).

Maternité, New York, 18,7 M $ (121 M F).

La Famille d'Arlequin, New York, 15,4 M $ (96 M F).

Au Moulin Rouge, New York, 8,25 M $ (53,6 M F).

Maternité, New York, 7 M $ (45,5 M F).

Sur dix enchères prononcées entre novembre 1988 et novembre 1989, huit l'ont été à New York, une à Londres et une à Paris. Cinq reviennent à Sotheby's, quatre à Christie's, une à Drouot (Mes Binoche et Godeau).

* Millions de dollars. ** Millions de francs. *** Millions de livres.

Record or not record ?

Ce qui frappe, dans cette frénétique activité mercantilo-artistique mondiale, c'est, plus encore que son caractère spéculatif, son utilisation médiatique de la part des vendeurs, des acheteurs, et aussi des intermédiaires. Grâce à l'acquisition, à 225 millions de francs, des Tournesols de Van Gogh (en 1987), la compagnie d'assurances Yasuda s'est assuré de juteuses retombées publicitaires ! Entre les maisons de ventes aux enchères, c'est à qui s'appropriera le record absolu, afin de faire miroiter aux vendeurs potentiels les plus beaux résultats, pour emporter une grande collection qui rapporte gros, bien sûr, mais surtout qui fera parler de la maison.

La course au record devient une véritable obsession ! Ainsi Sotheby's a-t-il gentiment « avancé » à l'acheteur des Iris de Van Gogh, l'homme d'affaires australien Allan Bond, une bonne partie des 54 millions de dollars nécessaires pour honorer son enchère d'octobre 1987. Sotheby's a beau être une maison commerciale libre de ses faits et gestes, consentir officiellement (comme annoncé dans les dépliants) des facilités financières aux acheteurs comme aux vendeurs, fait mauvais effet. Ne pourrait-on penser que la firme a « bourré » les enchères pour faire mieux que sa rivale, Christie's, vendeuse des Tournesols ? Bref, ce record mondial équivaudrait à ce que l'on nomme chez nous une « folle enchère », pratique qui tombe en France sous le coup de la loi. Et que devient, dans le cas présent, le sous-enchérisseur ? Aurait-il eu droit, lui aussi, à des « facilités de paiement » ? Existait-il seulement ?