C'est grâce à l'arrivée à Paris des Ballets russes et aux innovations qu'ils apportent que l'art chorégraphique retrouve sa vitalité. Dans les premières années du xxe siècle, la création dépend donc moins d'une institution d'État que du talent des nombreux chorégraphes libres, qui se donnent les moyens d'agir seuls en fondant leur propre compagnie. Et c'est ainsi que continue de se présenter le paysage chorégraphique actuel. L'Opéra maintient la tradition en jouant un répertoire évolutif allant des danses baroques aux œuvres contemporaines en passant par les chefs-d'œuvre classiques et romantiques.

De leur côté, les compagnies constituent le terrain privilégié des recherches avant-gardistes dont naissent parfois des œuvres singulières, mais inspirées. La danse est si présente qu'elle se prête maintenant au jeu subtil des substitutions, des glissements, en prolongeant les gestes du quotidien, ceux des techniques sportives notamment. Elle y trouve d'autres mouvements, d'autres rythmes, une nouvelle fonction rituelle, en un mot une mission qui l'oblige parfois à quitter la scène, à basculer dans l'espace. Finies les expériences sous influence américaine. De l'épopée aux aveux personnels, de la chose publique aux arcanes de l'inconscient, la jeune danse française a enfin quelque chose à raconter. Mais à qui ?

État des lieux

Reste en effet la question du public. Il boude en réalité depuis deux ans, peut-être découragé par une décennie de danse expérimentale. Peut-on alors parler de crise ? Si oui, tous les arts en France sont victimes du manque de curiosité et de paresse intellectuelle qui frappe de 60 à 80 % des Français.

Le département des études et de la prospective du ministère de la Culture a publié les résultats d'une enquête sur la fréquentation des spectacles de danse. Il en ressort que 66 % des Français n'ont jamais assisté à un spectacle de danse. Terpsichore n'attire donc que 34 % d'amateurs. Mais il faut relativiser ce chiffre en le comparant avec ceux qui concernent les autres arts et surtout avec le nombre de compagnies, donc de spectacles proposés. Si 4 % seulement du total des personnes interrogées sont allées voir un spectacle de danse dans l'année et si 7 % sont allées au théâtre, il faut tenir compte du fait que les compagnies professionnelles sont une centaine alors qu'il y a plus d'un millier de troupes de théâtre. Le désagrément de la salle quasiment vide risque donc davantage d'advenir à ces dernières.

Cela ne console pas les chorégraphes, persuadés d'être les parents pauvres de l'art, tant leurs conditions de vie et celles de leurs danseurs restent difficiles. Ils sont las d'être obligés de travailler hors des grands circuits, en investissant de nouveaux lieux, pas toujours appropriés (même si, depuis 1980, Lyon dispose d'une Maison de danse). La décentralisation a certes permis l'implantation de compagnies en province mais deux compagnies sur trois résident là où se tient 63 % du public, c'est-à-dire à Paris, où les studios de travail sont rares et chers.

Les jeunes créateurs n'apprécient pas non plus que la multiplication des festivals pose les problèmes de programmation et de fréquentation en termes de rentabilité. Les responsables ne prennent plus de risques et les condamnent du même coup au succès. De plus, les scores de la danse contemporaine sont sans cesse mis en parallèle avec ceux de la danse classique ; cette querelle des anciens et des modernes est bien mal venue ; elle signifie sans doute qu'il serait préférable de former un public en se servant des médias et de l'enseignement.

Attirer et former le public

La nouvelle Délégation à la danse se préoccupe beaucoup, il est vrai, de la diffusion. Son objectif prioritaire est de déplacer le centre d'intérêt des pouvoirs publics – axé surtout sur la création – vers la diffusion. Associée avec le département de la Création, de l'Audiovisuel et des Techniques au service de la musique, elle privilégie les projets à vocation pédagogique et consacre 500 000 francs à la production de programmes audiovisuels de portée chorégraphique et au soutien de la Cinémathèque. Grâce à cette dernière ont été retrouvées les premières chorégraphies de Maurice Béjart, dont la célèbre Symphonie pour un homme seul, dans un film extrait de toute une série de courts-métrages, réalisés pour la télévision par Louis Cuny (les Ciné-ballets), dans les années 50. La Cinémathèque de la danse a également projeté la Nuit des adieux de Jean Dréville, inspirée de la vie et de l'œuvre de Marius Petipa. De son côté, et en liaison avec d'autres partenaires, la Sept a dépensé 18 millions de francs à produire des documents sur la danse. Avec le Théâtre national de la danse et de l'image de Châteauvallon, elle a ainsi coproduit It just happened, film sur Fred Astaire, d'après les souvenirs de son chorégraphe Hermès Pan. Les subventions accordées à la Maison de la danse à Lyon sont augmentées, mais un cahier des charges l'engage formellement à soutenir la diffusion. Les prix accordés aux lauréats du concours de chorégraphie de Bagnolet se transforment en possibilités de diffusion des spectacles. Temps forts de la vie chorégraphique, les festivals dépendent de la générosité des collectivités locales, mais l'État intervient en accordant des crédits centralisés à ceux dont la portée est internationale et des crédits décentralisés (gérés par les préfets de Région) aux autres. Deux millions de francs supplémentaires ont été alloués sous cette forme aux projets de diffusion et aux initiatives d'accompagnement pédagogique.