Dans le courant humaniste de la Renaissance, le ballet correspond au goût des monarques et de l'aristocratie pour la réunion des arts, pour la mascarade et pour la machinerie. Reflet de la puissance et de la richesse de son commanditaire, il remplit des fonctions bien précises en étant de toutes les fêtes. Du règne de Charles IX (1560-1574) à la fin de celui de Louis XIII (1643), il sera chanté, déclaré, mimé... et financé par les princes. Mais, peu de temps après la mort de ce dernier roi, Jean-Baptiste Lully arrive à Paris. Musicien et danseur, mais aussi parfait courtisan, il pousse avec Molière et Pierre Beau-champ le jeune Louis XIV – alors plus attiré par la danse que par l'opéra italien que Mazarin tente d'imposer – à reconnaître officiellement l'art chorégraphique et à décider radicalement de son parcours. Par deux fois, en effet, le roi manifeste son intérêt : en créant l'Académie royale de danse en 1661 et en accordant à Pierre Perrin, en 1669, le privilège nécessaire à la fondation d'une « Académie d'opéra en musique et verbe français ». Cette initiative, plus importante que la première, impliquait le transfert de la danse de la cour à la scène et sous-entendait l'autorisation de laisser le public parisien accéder aux spectacles.

À Versailles, Louis XIV consolide son autorité au sein d'une cour fastueuse, mais pour laquelle chaque fête revêt une signification politique. Acteur principal, il danse avec élégance et maîtrise, et personnifie quelque figure allégorique chargée de transmettre le message de son pouvoir souverain. Mais il fait plus : il admet que les danseurs professionnels de l'Académie se mêlent aux courtisans, et élève ainsi le niveau artistique des spectacles. En se soumettant tous les jours aux leçons de son maître de ballet Beauchamp, il rend la danse aussi importante que le maniement des armes dans l'éducation d'un gentilhomme. Attitude qui devait renforcer la puissance de la danse et en faire dès le xviie siècle un art typiquement français. Lorsqu'il cesse de participer directement aux festivités en 1670, il prive le ballet de ses fonctions, sans diminuer le prestige de la danse, qu'il continue à soutenir. En 1672, notamment, il autorise Lully à acheter le privilège de Perrin, afin d'ouvrir l'Académie royale de musique. Il lui accorde le monopole royal, mais pas de subsides. L'Académie donne donc des représentations et des concerts publics et gère que son budget.

Avant de mourir, le Roi-Soleil met fin aux intrigues administratives suscitées par la disparition de Lully en reconnaissant à l'Académie un statut d'institution de l'État. Son règlement prévoit le fonctionnement permanent d'une troupe de vingt danseurs et surtout l'ouverture d'une école de danse dont l'enseignement doit être gratuit. Louis XIV créait ainsi les conditions du maintien d'un corps de ballet et d'un enseignement de haut niveau.

Quelque chose à raconter

La vie artistique française ne fut jamais privée de ces deux acquisitions. L'Opéra de Paris, qui se nomme toujours officiellement Académie nationale de musique et de danse, est resté le foyer principal de création et de formation des danseurs jusqu'à la fin du xviiie siècle. Les idées prérévolutionnaires des Encyclopédistes ont contribué à faire de la danse le reflet des passions humaines, à la libérer de l'opéra et à lui conférer une véritable indépendance. La troupe de la Comédie-Italienne joua cependant en ce sens un rôle plus important que celui de l'Opéra, dont les danseurs, rompus aux techniques les plus sophistiquées, possédaient en revanche peu d'expérience du mime et ne savaient pas vraiment rendre la psychologie des personnages par les seuls mouvements expressifs du corps. Le ballet de l'Opéra de Paris n'en resta pas moins très admiré.

Au xixe siècle, la danse est plus populaire que jamais. Les meilleurs artistes sont ceux qui peuvent tenir un rôle dans le ballet d'action romantique, un divertissement qui en appelle au mime, tout au moins dans sa première partie, mais se construit autour des performances de la danseuse étoile. La guerre de 1870-71, puis la Commune mettent fin à cette façon artificielle, mythique et éthérée d'empoigner l'imagination du public, et, par contrecoup, à l'hégémonie de l'Opéra.