Dans un premier temps, il paraît gagné. Que Le Pen poursuive sa campagne contre l'immigration, qu'il tonne contre le Sida ou qu'il dénonce « la Bande des Quatre », chaque fois il agite l'opinion, il divise la classe politique, il embarrasse la majorité. Au point que celle-ci s'effraie : et si Jean-Marie Le Pen avec son paquet de voix transformait le paysage politique, troublait le jeu, empêchait la victoire de la droite au profit d'un François Mitterrand ? L'hypothèse n'est pas saugrenue et elle inquiète les stratèges. D'autant qu'en mai un ministre, Michel Noir, qui a toujours été hostile au Front national, pose à la « une » du Monde la question : « Serions-nous prêts à sacrifier notre âme pour ne pas perdre les élections ? » La phrase fait d'autant plus mouche qu'elle met au jour une contradiction de la majorité, désireuse de conserver au second tour aussi bien des électeurs tentés par le Front national que ceux plus attirés vers le centre. Il faudra que Jacques Chirac se fâche pour que tout rentre dans l'ordre, mais la solidarité gouvernementale aura été mise à mal et l'affaire laissera des traces. Surtout, Jean-Marie Le Pen pourra témoigner qu'il demeure depuis plus de trois ans un sacré cactus dans la majorité.

Si, pourtant, en cette fin d'année, il paraît déstabilisé, il le doit davantage à ses propres initiatives qu'à celles de ses adversaires. À l'automne, de nouveau, il enflamme la France et la classe politique, prompte à se réconcilier pour le combattre : d'abord, le 13 septembre, au « Grand Jury » de RTL – le Monde, il affirme que les chambres à gaz sont « un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale » et pour beaucoup, ce jour-là, il avoue ce qui restait une conviction cachée ; ensuite, le 10 octobre, dans la nuit, des députés du Front national, voulant stigmatiser l'absentéisme parlementaire, se répandent dans les travées de l'Assemblée nationale, insultent d'autres députés, brutalisent l'un d'entre eux, se ruent sur le perchoir et pour beaucoup, cette nuit-là, le vrai visage de Le Pen se montre.

Pourtant personne ne sait finalement si, en ces deux occasions, Jean-Marie Le Pen a perdu de ses électeurs potentiels. Si son « fonds de commerce » qui déborde son électorat est mis à mal. Si son idéologie, lui qui, selon Alain Duhamel, « insinue tout haut ce que les Français n'osent pas s'avouer tout bas », est devenue suspecte. Les sondages sont contradictoires ; il n'empêche, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, Le Pen et ses amis ont réussi leur intégration dans la vie politique et ils pèseront dans la prochaine présidentielle.

Si Le Pen ainsi se confirme, cette année-charnière apporte également ses révélations. Car la politique est comme le vin : elle a ses grands crus mais aussi ses primeurs et if n'est pas si fréquent que des personnalités se découvrent. Elles sont deux en 1987, deux à étonner et à surprendre. Sans doute fréquentent-elles la classe politique depuis longtemps mais, pour la majorité des Français, elles constituent des apparitions.

La première s'appelle Michèle Barzach. L'ascension de cette jolie femme, née d'un père russe et dont l'enfance s'est déroulée au Maroc, est fulgurante : elle symbolise le libéralisme convivial, la droite moderne, la politique jeune et le refus des étiquettes idéologiques. La seconde est un homme, Harlem Désir, qui, par la grâce d'une « Heure de Vérité » en plein mois d'août, enthousiasme les Français. Est-ce parce que l'un et l'autre parlent vrai et simple, est-ce parce que leurs convictions et leur sincérité transparaissent dans chacun de leurs propos, est-ce parce qu'ils semblent représenter la fin d'idéologies trop corsetées ? Ces deux-là en tout cas incarnent une nouvelle façon d'être en politique, de vivre la politique.

C'est là un pari que Pierre Juquin, candidat aussi bien des verts que des « gauchistes », ancien responsable communiste exclu du PC, voudrait bien gagner. En fait, il gênera surtout André Lajoinie qui représentera le PC dans la compétition présidentielle mais dont l'apparence sympathique masque mal le dépérissement de son parti. D'ailleurs, les Français ne se passionnent guère pour ces candidatures-là. Tout comme, au long de l'année, ils ne prisent pas davantage les incidents qui émaillent, comme on dit, la vie politique. Attachent-ils par exemple de l'importance à ce qui se passe, début juin, dans la majorité ? Pourtant la crise est sévère : voilà que François Léotard, qui laisse planer alors la possibilité de sa candidature, assure dans une interview qu'il ne soutiendra pas Jacques Chirac au premier tour. C'est l'explosion ou plutôt l'implosion. Le Premier ministre, qui vient tout juste de régler « l'affaire Noir », le somme de choisir entre ses responsabilités ministérielles et son rôle de militant. Furieux, Léotard se refuse à trancher : il se retire à Fréjus, il se terre, il consulte ; il restera ministre mais gardera sa liberté de parole. Fin de la crise... et du psychodrame.

L'hiver de la politique

Il est vrai que le décalage maintes fois signalé entre la société politique et la société civile est cette fois patent et la revue Esprit n'a pas tort de titrer, en mars, « l'hiver de la politique ». Est-ce la cohabitation qui arrête l'audace, l'un gouvernant sous le regard de l'autre ? Est-ce la formidable puissance des médias qui empêche de conduire le jeu politique et annule tout projet contesté, la loi Devaquet hier, le Code de la nationalité aujourd'hui ? Est-ce la perspective de la présidence qui bloque les initiatives et conduit chaque candidat à être le plus neutre possible ? Est-ce la marque de la fin des idéologies, l'échec du libéralisme succédant à la déshérence du socialisme ?