Bien entendu, la gauche ne pouvait que combattre un programme qui remettait en cause l'essentiel de son oeuvre économique et sociale au cours de la septième législature. Mais, depuis la rupture du 17 juillet 1984, il ne lui était plus possible de lui opposer un projet commun de gouvernement.

Libre des contraintes du pouvoir, mais corseté par celles de la doctrine, le parti communiste s'assigna bien de vastes objectifs, se proposant en particulier de créer en cinq ans un million d'emplois, notamment par la diminution du temps de travail et par l'interdiction de toute suppression de poste non compensée localement. Mais il ne put innover en ce qui concerne les moyens.

Vouloir plus d'État en un temps où l'opinion publique en réclamait moins était électoralement dangereux. Le parti socialiste le comprit. Mais cela ne facilita pas l'élaboration de sa plateforme électorale, d'autant plus qu'il se heurtait à une double difficulté. Détenteur du pouvoir, il lui fallait assurer l'héritage et se situer dans la continuité de la politique suivie depuis 1981. Désireux de s'y maintenir, il devait s'efforcer de conserver les suffrages des « déçus du socialisme » sans donner davantage prise aux critiques accrues du parti communiste.

Le comité directeur du PS ne parvint pas à concilier totalement ces impératifs contradictoires lorsqu'il arrêta définitivement le 14 décembre 1985 son « programme de continuité et de construction » ainsi que le qualifia lui-même, le premier secrétaire Lionel Jospin.

Trois priorités étaient susceptibles de satisfaire les militants plus que les électeurs : « développer la solidarité ; étendre les libertés et se donner les moyens d'une maîtrise collective de l'avenir ». Pour atteindre le premier de ces objectifs, les socialistes proposaient l'adoption de deux mesures essentielles : la mutualisation des risques entraînés par les mutations industrielles ; la constitution d'un revenu minimum garanti. Mais l'une et l'autre supposaient un accroissement des charges sociales et fiscales des particuliers et des entreprises, ce qui rendait peu crédibles la stabilisation, puis la diminution des prélèvements obligatoires promises par ce même programme.

L'extension aux petites entreprises du droit d'expression des travailleurs, l'octroi à terme du droit de vote aux immigrés lors des élections municipales répondaient au second des objectifs du PS, mais mécontentaient à la fois les petits patrons hostiles à la syndicalisation de leur personnel et la fraction de l'opinion publique qui réclamait au contraire l'expulsion des immigrés et l'octroi prioritaire aux citoyens français des emplois libérés par leur départ.

Enfin, pour « se donner les moyens d'une maîtrise collective de l'avenir », les socialistes envisageaient de développer le rôle de l'administration dont l'emprise sur la vie quotidienne des particuliers et des entreprises ne pourrait dès lors que s'accroître contrairement aux voeux des nombreux électeurs, qui aspiraient, nous l'avons vu, non pas à plus, mais à moins d'État.

La campagne électorale

Elle commença officiellement le lundi 3 mars 1986 à la radio et à la télévision. Curieusement, le débat ne porta pas essentiellement sur les trois préoccupations principales des Français telles que les révélaient les sondages : le chômage, l'insécurité et l'immigration. Moins proches de leurs électeurs qu'ils ne le croient ordinairement, les hommes du microcosme politique cher à Raymond Barre débattirent longuement de deux questions de moindre intérêt : le bilan de la gestion socialiste ; le problème de la cohabitation. À la première, la fraction des électeurs susceptibles de faire basculer la majorité avait déjà répondu par des jugements bien tranchés qu'ils n'avaient, pour la plupart, nullement l'intention de modifier, même si le taux de l'inflation s'abaissait selon l'INSEE à 0,1 p. 100 en décembre 1985 et le nombre des chômeurs à moins de 2 500 000 selon le même organisme. Par contre, ces mêmes électeurs se sentaient moins concernés que les hommes politiques par la seconde question : celle du problème constitutionnel posé par une éventuelle cohabitation entre un chef de l'État de gauche et un Premier ministre de droite.