Ne risquait-on pas de déclencher une crise politique pour résoudre la crise économique ?

François Mitterrand eut l'habileté de laisser les dirigeants de l'opposition en discuter et révéler ainsi les failles qui pouvaient exister entre eux. Convaincu que le temps travaillait pour le président de la République, Raymond Barre annonça au Club de la presse d'Europe 1 du 14 avril 1985 qu'il « ne voterait pas la confiance à un gouvernement de cohabitation ». Au soir du 16 mars 1986, la majorité présidentielle serait ou confirmée ou condamnée. Et, dans le second cas, faute d'avoir su ou pu conserver la confiance de ses concitoyens, le détenteur du pouvoir suprême n'aurait le choix, selon l'ancien Premier ministre, qu'entre deux attitudes : ou se soumettre, c'est-à-dire accepter une diminution de son autorité contraire à sa dignité et à l'esprit des institutions ; ou se démettre. C'était exiger sa renonciation au pouvoir comme condition préalable à la formation d'un nouveau gouvernement.

Réaffirmée encore avec vigueur à Paris et à Viroflay le 15 et le 19 janvier 1986, cette politique « barriste » reposait sur une idée fondamentale : la nécessité de maintenir la cohérence d'un exécutif à deux têtes. Mais elle avait un inconvénient : celui de provoquer une élection présidentielle dans la foulée des élections législatives et donc de retarder la mise en œuvre du programme de l'Union pour la nouvelle majorité.

Dans le droit-fil de sa déclaration de Verdun-sur-le-Doubs du 27 janvier 1978, Valéry Giscard d'Estaing estimait au contraire « la future cohabitation politique très viable » (interview à l'Express, 10 mai 1985), puisque le Premier ministre, une fois nommé par le chef de l'État, ne pourrait être révoqué par ce dernier. Et il précisait, dans une conférence de presse tenue à Paris le 14 janvier 1986, qu'il serait de ce fait « indéboulonnable ». Il rejoignait ainsi l'opinion de Jacques Chirac pour qui il était impensable de demander aux Français de voter pour le programme de l'opposition tout en lui annonçant qu'en cas de victoire celle-ci refuserait de constituer un gouvernement pour l'appliquer avec le président de la République encore en place. Faisant une lecture parlementaire de la Constitution, contrairement à Raymond Barre, le maire de Paris précisa, le 26 février 1986, lors d'une interview à Antenne 2, que la cohabitation était possible à quatre conditions : l'existence d'une majorité indiscutable ; l'affirmation de la confiance de cette majorité envers le Premier ministre sollicité ; l'engagement solennel de ce dernier d'appliquer sans concession le programme défini dans « la plate-forme pour gouverner ensemble du RPR et de l'UDF » ; enfin, la promesse non moins solennelle du chef de l'État de laisser le Premier ministre exercer pleinement les pouvoirs qui lui sont reconnus par l'article 20 de la Constitution : conduire la politique de la France.

En fait, le président du RPR avait tenu compte de la détermination du chef de l'État à ne pas démissionner et à ne pas rester neutre. Cette détermination s'était affirmée tardivement, mais nettement, sur deux plans très différents : d'abord celui du combat politique pour demander au peuple français « de ne pas couper les jarrets des équipes qui gagnent » (discours du Grand-Quevilly, 17 janvier 1986) et « de préserver ses conquêtes » (discours de Lille, 7 février) ; ensuite celui de la Constitution en affirmant, le dimanche 2 mars, quelques heures avant le début de la campagne officielle, qu'il « préférerait renoncer à (ses) fonctions que renoncer aux compétences de (sa) fonction ». C'était laisser planer un doute sur une éventuelle dramatisation de la vie politique au lendemain d'une défaite électorale de la majorité sortante. Ce doute devait-il profiter au parti socialiste ? L'affirmer serait présomptueux. Mais force est de constater que, crédité de 28 p. 100 des intentions de vote dans le dernier sondage publié le 8 mars 1986, ce parti obtint, le 16, 32, 65 p. 100 des suffrages exprimés.

Les résultats : conséquences et perspectives

Au soir des élections, les politologues ne furent pas trop surpris par la proclamation des résultats. L'instauration de la proportionnelle avait porté ses fruits. Le reflux de la vague rose avait été atténué dans de nombreux départements où la gauche avait pu conserver autant de députés que la droite du fait de la répartition à la plus forte moyenne des sièges restant à pourvoir. La poussée du RPR et de l'UDF avait été contenue, pas assez cependant pour empêcher ces partis de gouverner, car les vainqueurs avaient obtenu deux voix de majorité grâce à l'apport des divers droite. Fruit du nouveau type de scrutin, le succès du Front national était attendu. Seule son ampleur étonna puisque ses listes totalisèrent 9,85 p. 100 des suffrages exprimés, alors qu'aucun sondage ne lui en avait accordé plus de 7 à 8 p. 100. Mais il était en recul de 1,10 p. 100 par rapport aux 10,95 p. 100 obtenus aux élections européennes du 17 juin 1984. L'extrême droite n'aurait-elle remporté une fois de plus qu'une victoire circonstancielle, confortée par le charisme de son actuel leader Jean-Marie Le Pen ?