Qui ne voit la révolution que cela représentera dans notre consommation médiatique et culturelle, et sans doute aussi les problèmes que cela posera, de préservation notamment des identités culturelles nationales. Pour le moment, cette perspective a convaincu les producteurs d'images de multiplier leurs efforts, de manière à offrir, le moment venu, assez d'images et de sons pour remplir tous ces nouveaux canaux. Dans certains cas, notamment dans les programmes pilotés par la Mission interministérielle pour la télédistribution, il s'agit de préparer des émissions de fiction à bon marché, produit le plus demandé sur le marché mondial de télévision.

On a dit combien le sort du câble apparaît lié à celui des satellites. À cet égard, la France est aussi en première ligne, avec le lancement prévu des satellites TDF1 et TDF2 –, d'autant plus que, en Grande-Bretagne, le gouvernement de Mme Margaret Thatcher a décidé, pour des raisons d'économie, de renoncer au lancement d'un satellite britannique. L'un des problèmes posés au gouvernement français est donc de savoir à qui accorder le droit de louer les quatre canaux de télévision disponibles sur chacun de ces satellites. Les candidats à ces canaux sont nombreux, compte tenu de l'immense marché potentiel ouvert par ce moyen de diffusion ; 350 millions d'Européens et de Nord-Africains, quel publicitaire ne rêverait d'une telle clientèle, surtout dans la mesure où la possibilité d'utiliser quatre canaux de son pour chaque canal-image permet de « doubler » les programmes en autant de langues... Les décisions seront sans doute discutées, voire remises en question, jusqu'au dernier moment. À la fin de 1985, le gouvernement envisageait d'autoriser, sur TDF1, la chaîne Seydoux/Berlusconi, une chaîne britannique (confiée au groupe Maxwell, propriétaire du Daily Mirror), une chaîne allemande (en l'occurrence RTL, alliée à l'éditeur Bertelsmann) et une chaîne culturelle à vocation européenne. Bien qu'on puisse se demander si cette dernière proposition n'est pas surtout destinée à servir de « fausse fenêtre » par rapport à la chaîne Seydoux/Berlusconi, pour mieux « faire passer la pilule », elle mérite d'être examinée avec attention.

Il est en effet possible que l'idée d'une chaîne « culturelle », de plus en plus absurde au niveau des lois du marché dans un seul pays – publicitaires et « sponsors » n'ont que peu d'enthousiasme pour une chaîne qui ne « fait » que 2 % d'audience moyenne –, redevienne aussi une bonne idée commerciale au niveau européen : après tout, 2 % du public européen, cela fait beaucoup de monde ! D'autant que, avec ses canaux-son multiples, une chaîne culturelle pourrait aussi, par exemple, bénéficier de la stéréophonie.

L'idée est donc moins élitiste et moins contraire aux évolutions du marché qu'il n'y paraît. C'est d'ailleurs ce qu'a expliqué M. Pierre Desgraupes. Celui-ci avait été chargé d'un rapport sur la question, dans le cadre d'une mission qu'il baptisa « Canal 1 ». Ce rapport, remis en juillet 1985, montra, sur la base d'un sondage précis effectué dans ces divers pays, que, si l'on retient la zone qui sera arrosée directement par TDF1 – c'est-à-dire la France, le Bénélux, la République fédérale d'Allemagne, le nord de l'Espagne et de l'Italie, le sud de la Grande-Bretagne –, une chaîne de ce type pourrait compter immédiatement sur plus de quarante millions de téléspectateurs potentiels. Il est vrai que M. Pierre Desgraupes a une conception un peu extensive de ce que pourrait être une chaîne « culturelle » européenne, puisque son projet de grille de programmes comportait 23 % de fiction télévisée, 6 % de théâtre, 11 % de musique, 12 % d'information, 8 % de documentaires, 10 % d'émissions pour la jeunesse, mais aussi 20 % de variétés et 6 % de sports. Mais sans doute convient-il d'avoir une conception extensive pour une chaîne de ce type, si l'on souhaite conquérir un public suffisant, de ne pas s'enfermer dans le ghetto des « émissions culturelles » traditionnelles.