Le visiophone, téléphone du futur, permet aux interlocuteurs de se voir sur un petit écran de télévision. Cet appareil étonnant, que la plupart des auteurs de science-fiction présentent comme un objet courant dans l'appartement du citadin moyen du prochain millénaire, ne peut fonctionner véritablement sans la fibre optique. Ces cheveux de silice très pure dans lesquels des signaux lumineux (produits par laser ou à l'aide de diodes électroluminescentes) remplacent les impulsions électriques circulant dans les câbles classiques sont, en effet, seuls capables de véhiculer la quantité énorme de données que nécessite une transmission interactive (dans les deux sens) en direct de l'image et du son.

Scepticisme

À Biarritz, le visiophone faisait automatiquement partie de l'installation fournie aux abonnés. Faute d'un nombre suffisant d'appareils installés, il fait un peu figure de gadget pour la plupart d'entre eux. Un scepticisme qui semble partagé par de nombreux spécialistes. Les experts américains des télécoms estiment carrément qu'il n'a aucun avenir. Et les responsables de la Direction générale des télécommunications eux-mêmes prévoient que 120 000 de ces appareils seulement seront installés à la fin du siècle, quand toute la France sera câblée en fibres optiques.

Mais les optimistes rétorquent que les Américains ne croyaient pas en l'avenir de la télévision à la fin des années 30, et que le même pessimisme a salué la naissance du magnétoscope. Considéré comme un simple téléphone à images, le visiophone peut, en effet, n'avoir qu'un intérêt tout relatif. Mais il ouvre la voie à de nombreuses applications nouvelles qui, estiment-ils, entreront peu à peu dans les mœurs : consultation de dossiers ou de banques de données, et, pourquoi pas, visites médicales ou cours universitaires par téléphone par exemple ?

Il vaudrait mieux que ces optimistes aient raison car le visiophone constitue, sur le plan technique, la principale justification du choix de la fibre optique pour le câble français. Les Américains se contentent, en effet, parfaitement du classique câble co-axial de cuivre pour recevoir — au Texas par exemple — jusqu'à 60 chaînes de télévision à domicile. Seul inconvénient : pas d'interactivité en temps réel possible. Mais là aussi les experts sont sceptiques et ne voient pas la télévision interactive entrer dans les mœurs avant au moins une dizaine d'années. Plus grave : la télévision par câble ne rencontre pas le succès escompté outre-Atlantique et, à part les chaînes spécialisées dans le sport ou le cinéma, la plupart des réseaux privés câblés américains sont en déficit.

Halte aux pirates

Le piratage figure en bonne place parmi les causes de faillite des sociétés privées de télévision par câble américaines. Ces chaînes TV, bien entendu à péage, ont vu leurs revenus sérieusement écornés par des bricoleurs peu scrupuleux qui se sont fabriqués leurs propres décodeurs, ces dispositifs permettant de rendre intelligibles au récepteur de télévision les signaux envoyés par les câbles. À la Direction générale des télécommunications, on affirme, cependant, que le système de réseau en étoile choisi par les Français rend le piratage beaucoup plus difficile que sur les réseaux arborescents américains.

Un plan... pour le câble

Ce sombre tableau ne décourage pas les responsables français du plan câble. C'est vrai, disent-ils en substance, notre projet est le plus ambitieux de tous ceux des pays industrialisés. Mais le retard de la France dans ce domaine était important. Autant profiter, en le comblant, pour prendre une longueur d'avance.

Ce pari audacieux est, en fait, plus économique que technologique. Le gouvernement l'a clairement indiqué : le choix de la fibre optique « fournira les bases d'une politique industrielle ambitieuse dans ce secteur ». Un marché de cinquante milliards réservé — bien entendu — aux seules entreprises françaises, cela devrait indéniablement donner un sérieux coup de fouet à la recherche et à l'industrie française des télécommunications. Il s'agit en fait de rééditer l'expérience du plan téléphone. Lancé en 1969, cet énorme coup de collier dans l'équipement du pays avait permis aux constructeurs français de se hisser au niveau des meilleurs sur le plan mondial. Ce fut un succès sur le plan technologique : CIT-Alcatel a pu placer son fameux central E 10 un peu partout à l'étranger, et même aux États-Unis. Mais le résultat économique de l'opération fut nettement moins bon, et aucun industriel français n'a réussi à se tailler une part déterminante du marché mondial.