Lorsqu'il est question pour la première fois en conseil, à Bruxelles, de voir comment ces principes pourraient s'appliquer concrètement au marché ovin (à l'occasion de la discussion du projet devant les ministres de l'Agriculture des Neuf, le 4 mars 1980), le ministre britannique Peter Walker s'oppose catégoriquement à leur mise en œuvre, en rejetant précisément le point test prévoyant la possibilité d'interventions de soutien des cours, financées par le budget européen. Et la polémique de se poursuivre.

Bien joué

À ce lourd contentieux, il faut encore ajouter le différend relatif à l'accès des zones de pêches britanniques aux pêcheurs des autres pays et la sourde irritation des partenaires de la Grande-Bretagne à propos du pétrole de la mer du Nord que les Anglais entendent gérer pour leur compte propre. Cette situation explique l'émotion provoquée par l'attitude anglaise au sommet de Luxembourg les 27 et 28 avril. H. Schmidt et V. Giscard d'Estaing font à Margaret Thatcher des offres inattendues pour alléger sa contribution au budget européen, allant jusqu'à lui offrir de faire payer par les Huit, en 1980 et 1981, les deux tiers de ce que devrait être sa contribution nette. Le refus de Margaret Thatcher crée une surprise totale.

La déception est d'autant plus grande que les ministres de l'Agriculture des Neuf sont parvenus à un accord — hormis le veto du ministre britannique — sur l'ensemble des prix agricoles, avec une hausse de 5 % en unités de compte. C'est un nouvel échec. Avant de quitter Luxembourg, Valéry Giscard d'Estaing assure que les prix agricoles augmenteront en France de 10 % quoi qu'il advienne. À Londres, les Communes et les journaux applaudissent le Premier ministre : « Bien joué, Maggie » titre le Daily Express.

« Bien joué, Mme Thatcher... » titrent également des journaux français lorsqu'on apprend qu'après seize heures de négociations, le 30 mai, à l'aube, les ministres des Affaires étrangères des Neuf parviennent à un règlement global fixant l'allégement de la contribution britannique, relevant les prix de 5 % (10 % en France) et mettent fin à la guerre du mouton.

Bien joué, car Margaret Thatcher obtient, sur le plan budgétaire, pratiquement tout ce qu'elle demandait, l'allégement de 15 milliards de F en deux ans, sensiblement plus que ce que Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt lui avaient offert fin avril au Conseil européen et qui était déjà considérable.

En outre, si cette contribution allégée devait augmenter, par suite de charges supplémentaires, ce surplus serait partagé entre la Grande-Bretagne et ses partenaires selon la clef suivante, avantageuse pour Londres : Pour la première année : 25 % à la charge de Londres, 75 % à la charge des Huit ; pour la deuxième année : 50 % — 50 %.

Solidarité limitée

Sans doute, en contrepartie, Margaret Thatcher accepte-t-elle de lever son veto au relèvement des prix agricoles et d'approuver l'accord sur le mouton. Un accord dans lequel sont prévues des interventions communautaires de soutien des cours et qui n'entrera en vigueur qu'une fois passés des accords d'autolimitation des exportations avec les pays tiers qui, comme la Nouvelle-Zélande, fournissent traditionnellement le marché européen.

La Grande-Bretagne n'obtient pas non plus un allégement indéfini dans le temps de sa contribution. Pour 1983, les Neuf s'engagent à développer des actions structurelles en sa faveur par le biais des politiques sociale et régionale, et, le cas échéant, donc sans automatisme, à accepter une nouvelle réduction budgétaire. Enfin, pour éviter que Londres puisse exercer à nouveau un chantage lors de la fixation des prix, il est prévu que les crédits budgétaires affectés à la réduction de la contribution britannique ne seront débloqués à l'avenir qu'une fois les prix agricoles communs fixés.

La crise est donc surmontée, mais il est clair que l'allégement de la contribution britannique, que vont supporter la France et surtout l'Allemagne, entraîne des modifications importantes dans la répartition des charges. On touche aux principes : c'est une limitation de la solidarité financière. À l'écrêtement des charges des uns doit logiquement correspondre un écrêtement des soldes bénéficiaires des autres, c'est du moins l'avis de Paris et de Bonn.

Faire une pause

Il est clair aussi aux yeux de tous que, pour éviter l'asphyxie du budget européen et l'épuisement des ressources propres, la révision des modes de gestion de l'Europe verte devra être entreprise. Et les Allemands manifestent vite qu'ils sont pressés d'y parvenir. R. Barre ne manque pas de le dire devant le Parlement : « Les agriculteurs doivent d'abord compter sur eux-mêmes. » Plus profondément, la question de savoir si la Grande-Bretagne adhère vraiment aux principes communautaires reste sans réponse.