Paul Taylor, ce grahamien de la deuxième génération, n'a guère innové avec ses Runes peu compréhensibles et son Churchyard où l'emploi du procédé est sensible. Un plus jeune, Louis Falco, montre bien, avec ses Sleepers, que la nouvelle école américaine a abandonné le symbolique, le philosophique, l'intellectuel pour le seul jeu des corps.

Chez les jeunes compagnies françaises, une révélation, les Delta phi, de Dijon, découverts à l'occasion du concours qui est organisé chaque année au Centre chorégraphique de Bagnolet.

Les Delta phi ont repris, sans les avoir connues, les fantasmagories optiques des ballets de l'Américain Alvin Nikolaïs. Véritable danse ou mouvement qui fait appel à des jeux de projecteurs plutôt qu'à un rythme interne ? Leur numéro, où des rayures colorées déforment curieusement les corps des danseurs, donne néanmoins une impression assez surprenante de dépaysement, d'éloignement de la réalité.

Plus maîtresses de leur technique, à la recherche d'une inspiration qui leur propose des thèmes variés, deux jeunes troupes françaises se maintiennent : le ballet de Félix Blaska, attaché à la maison de la Culture de Grenoble, et le Théâtre du Silence, à celle de La Rochelle. Blaska a présenté un ballet freudien, Les loups, sur un livret du romancier Pierre Bourgeade : le héros est hanté par des loups qui obsèdent son sommeil de visions tour à tour terrifiantes, érotiques et mystiques. Certains tableaux sont beaux plastiquement, certaines scènes provoquent chez le spectateur une horreur insurmontable. Félix Blaska, s'il sait montrer des complexes, n'en fait pas comprendre la nature profonde. Défaut de maturité sans doute ; il est plus à son aise dans le mouvement pur, qu'il le bâtisse sur du jazz, du Bach ou du Berio.

Avec le Théâtre du Silence, Brigitte Lefèvre et Jacques Garnier tentent une aventure exemplaire. Anciens chorégraphes du ballet de l'Opéra, las des Giselle, des Lac des cygnes, ils ont voulu créer, courir la grande aventure du dénuement. L'année leur a apporté des semi-succès comme Ragtime, ballet humoristique et mélancolique inspiré des années folles, des réussites certaines avec Léda, un émouvant solo qu'accompagne le poème d'Eluard, et surtout Ceci est cela, où la danseuse principale s'identifie dans un rêve éveillé à des partenaires différents. Une composition dont la liberté n'est qu'apparente, mais dont l'exigence architecturale est rigoureuse. Le Théâtre du Silence est une troupe austère, inquiète d'atteindre la perfection. Peut-être marque-t-elle une étape intéressante dans l'évolution de la jeune danse en France.

Classique

L'école académique ne renonce pas. Il nous a été donné de voir, en France, l'un de ses virtuoses les plus éblouissants : Mikhaïl Barychnikov, un transfuge du Kirov. Il s'élance sans effort apparent, bat l'entrechat dix ou douze comme le faisait Nijinski, semble un instant suspendu dans l'air, comme arraché à la pesanteur, puis retombe légèrement et enchaîne des pirouettes avec une rectitude et une rapidité incroyables. Il est difficile d'imaginer qu'un danseur puisse ainsi discipliner son corps.

Un autre célèbre évadé du Kirov, Rudolf Noureev, tente sa reconversion. On l'avait vu naguère tâter de la danse contemporaine avec Auréole, de Paul Taylor, et La pavane du maure, de José Limon, sans être parfaitement convaincant. Il revient à l'académisme en présentant, comme imprésario et vedette à la fois, une version du vieux ballet de Petipa, La belle au bois dormant. Il transpose cette féerie puérile en un ballet de music-hall : le génie est dans les panières. Des débauches de costumes, des panaches de plumes, des évolutions de plus d'une centaine de danseurs et danseuses fournis par le Royal Festival Ballet de Londres. Tout cela ne vaut pas les quelques minutes de spectacle où Noureev redevient lui-même, le prince tartare, félin, inquiétant, dont les cabrioles, les tours en l'air ont une grâce véritablement souveraine.

L'Opéra n'a guère montré de créativité. Des reprises, toujours des reprises. Balanchine est venu y monter quelques-uns des ballets qu'il avait créés à New York pour célébrer le centenaire de Ravel. Œuvres savantes et un peu froides comme le Tombeau de Couperin, qui prétend transposer les anciennes danses de cour, Sonatine, un bel exercice de solfégisation, Tzigane, dont l'exotisme assez convenu exige de ses interprètes des qualités hors du commun. La seconde troupe, la troupe Favart, issue de l'Opéra-Comique, a remonté, sans qu'on en ait vu la nécessité, Jeux de cartes, de Janine Charrat, qui parut, dans l'immédiat après-guerre, une remarquable tentative pour délivrer la danse de ses poncifs (elle semble maintenant bien timide), et un Concerto de Skibine, raffiné mais sans vigueur.