Le plus scandaleux des compositeurs italiens, Sylvano Bussotti, qui sera dès la rentrée prochaine responsable artistique du célèbre théâtre la Fenice, à Venise, et qui avait déjà mis en scène Donizetti, Puccini, Falla, Poulenc, Malipiero, s'est attaqué cette fois à Monteverdi et à Piccini. De son côté, le compositeur sicilien Girolamo Arrigo, qui avait jusque-là vécu à Paris, vient d'être rappelé à Palerme pour siéger au conseil du Teatro Massimo, où il s'occupe de programmer Gluck, Donizetti, Verdi, Puccini...

Et ce ne sont là que peu d'exemples parmi beaucoup d'autres tout aussi spectaculaires ! Il faudrait donc se demander si, au lieu de la révolution permanente qui nous était annoncée et promise par les prophètes de l'aventure, nous ne nous trouvons pas maintenant devant une révolution assise ?

Au terme d'une saison parisienne de la nouveauté qui, une fois encore, se sera signalée plus par l'abondance et la qualité des exécutions que par l'originalité des créations, on continue de se demander où va la jeune musique. Prêchée comme une nouvelle croisade, la collaboration systématique des scientifiques avec les musiciens pourra-t-elle donner aux créateurs, dans la meilleure des hypothèses, autre chose que des moyens techniques et des matériaux renouvelés, alors que, d'évidence, c'est la réflexion sur la nature et la fonction de la musique, et dans ce qu'il y a ici de plus global et de plus abstrait, qui a besoin d'un coup de sève ?

À l'opposé, est-ce donc pour faire diversion, pour se reconvertir dans l'action ou parce qu'ils s'aperçoivent de la vanité et de la stérilité de toute démarche intellectuelle, que tant de compositeurs de la dernière génération ont décidé de s'immerger cette année dans le tissu social des quartiers ouvriers et des banlieues pour y tenter toutes sortes d'expériences de pédagogie et de création collective qui, elles, n'exigent pas d'inventer dans l'absolu ?

Nouvelle formule

L'augmentation en nombre, l'amélioration en qualité et en originalité des concerts publics de Radio-France ont été très sensibles tout au long de la saison. Mais l'attention des mélomanes s'est surtout portée sur la réforme de France-Musique. Depuis le 4 octobre, jour où cette chaîne, reprise en main par Louis Dandrel, a cessé d'être une tapisserie sonore de haute culture pour cadre moyen de plus de quarante ans, c'est le conflit ouvert, la chouannerie des classiques et le réveil de la « querelle des bouffons ».

Les reproches des auditeurs portent essentiellement sur le temps de parole, qui serait trop long, sur l'intrusion abusive des musiques étrangères à notre répertoire de tradition et sur le ton des nouveaux producteurs.

À la première de ces critiques, les responsables répondent qu'on parle plutôt moins sur l'actuelle France-Musique que sur l'ancienne (1 h 30 par jour environ), mais que, les commentaires étant groupés au lieu d'être disséminés, ils paraissent plus longs à ceux des auditeurs qui tombent dessus par hasard. Pour les musiques traditionnelles et populaires de tous les continents, les musiques contemporaine et d'avant-garde, le jazz, les variétés, la pop, etc. si on leur accorde désormais un peu plus de temps, c'est pour un choix délibéré que justifie amplement l'évolution qu'ont suivie, ces dernières années, la connaissance et l'écoute musicales (sans parler des révolutions de langage, dans la création). Il faut savoir que France-Musique doit réaliser en direct 90 % de ses émissions faute d'avoir les moyens techniques de les enregistrer en studio et de les monter (ce sont les assistants, surtout, qui manquent le plus). Or beaucoup de producteurs récemment engagés sont jeunes et inexpérimentés. D'où les nombreuses bavures relevées complaisamment par les adversaires de la nouvelle formule.

Aucune réforme de radio ou de télévision ne s'est faite sans douleur et sans perte d'auditoire. Toute une importante fraction de la presse nationale et régionale a prophétisé la débandade générale : 75 % des auditeurs de France-Musique auraient disparu dans les trois premiers mois de la révolution. Mais la dernière enquête du CESP (Centre d'étude des supports de publicité) a révélé que l'audience de France-Musique avait progressé de 7,1 % par semaine. Le public de la chaîne serait donc aujourd'hui de 2 750 000 auditeurs, au lieu de 2 400 000 l'année précédente. Les nouvelles vagues de mélomanes seraient-elles plus fortes qu'on ne le croyait ? En tout cas, on n'entend plus France-Musique, on l'écoute ou on refuse de l'écouter !

Chostakovitch

Le 9 août 1975, l'Union soviétique a perdu son chantre unique, son barde, le seul créateur de musique qui se soit jamais identifié à elle et en qui elle se soit reconnue totalement. Chostakovitch savait rendre « la tension des conflits sociaux, l'affrontement des forces de la paix et de la guerre, et le triomphe de la raison », écrit l'agence Tass. Mais, sans doute, lui aura-t-il fallu un tempérament et des dons exceptionnels pour s'imposer hors des frontières comme un des premiers musiciens de notre époque, tout en ayant gardé si longtemps la confiance du Comité central. En fait, il est peut-être le seul compositeur officiel de ce siècle à avoir atteint la dimension mondiale, en tout cas le seul qui, au lieu d'avoir été assimilé par l'idéologie, l'aura assimilée sans se renier lui-même, donnant ainsi la preuve que l'artiste de haute volée peut toujours se jouer des consignes esthétiques. La carrière de Chostakovitch n'a pas été sans nuages. Célèbre à vingt ans, en 1926, après la création de sa première symphonie, à Leningrad, sa ville natale, il est, dix ans plus tard, « mis en garde » pour formalisme outrancier, déformation de la vérité historique et pour avoir mis son opéra Lady Macbeth à l'école bourgeoise du Wozzeck de Berg. En 1937, avec sa cinquième symphonie, il fait amende honorable. La septième symphonie dans Leningrad assiégée et la neuvième, qui chante la victoire du peuple soviétique, marquent l'apothéose de son engagement. Mais, en 1948, il est encore une fois menacé d'excommunication et doit faire son autocritique dans le Chant des forêts (1950). Enfin, il reçoit le prix Lénine en 1957, ce qui ne l'empêchera pas, aux côtés du poète Evtouchenko, de prendre parti contre l'antisémitisme et, peut-être, d'intervenir en faveur du violoncelliste Rostropovitch, coupable d'avoir défendu et hébergé Soljenitsyne. Son œuvre, immense et inégale, qui n'évite pas les deux écueils majeurs du néo-classicisme et du pompiérisme boursouflé, restera, par sa générosité symphonique, ses contrastes, son sens de la progression dramatique et de l'accumulation monumentale de matériaux disparates. Ce « héros du travail socialiste » faisait depuis cinquante ans beaucoup d'ombre autour de lui. Sa disparition devait faire venir à la lumière des générations qui, jusque-là, n'avaient pu s'affirmer contre lui que dans la clandestinité. Mais la mort du Dieu vivant de la musique progressiste suffira-t-elle à autoriser d'autres religions ?

Théâtre

Une saison de bon aloi

Il fut un temps, au théâtre, où « il n'était bon bec que de Paris ». Seules les tournées Baret, bientôt doublées par les galas Karsenty, apportaient en province l'air de la capitale, et des pièces, en général de Boulevard, où triomphaient des vedettes populaires « dans les rôles qu'elles avaient créés à Paris ».

Créations

Cette époque, depuis la décentralisation, est révolue. On peut même considérer, alors que les pouvoirs publics ont disséminé les meilleurs animateurs dans la France entière, que les véritables créations se font surtout dans les grands centres nationaux, bien qu'ils soient encore imparfaitement répartis sur l'ensemble du territoire, au bénéfice des régions de l'Est, de Marseille à Strasbourg en passant par Lyon et Grenoble.