On trouve dans ces documents comme le testament d'un compagnon du général de Gaulle dans un domaine – la défense – profondément transformé par la Ve République. Une nation se défait, qui cesse de se défendre ; on est toujours seul devant la menace ; les alliés de la France ne la prendront au sérieux que si elle se montre capable d'assurer elle-même sa propre sécurité ; c'est l'armée de conscription qui témoigne, en dernier ressort, du désir d'un peuple de résister à l'agression.

Une telle stratégie est exclusive, c'est-à-dire qu'elle s'accommode mal de l'existence de relations trop étroites avec des stratégies alliées. Sur ce point, le gouvernement français n'est pas à un paradoxe près. Il souhaite la présence des troupes américaines en Europe – G. Pompidou l'a rappelé à Richard Nixon lors de leurs entretiens de Reykjavik –, mais il ne renonce pas à faire cavalier seul, estimant que les armes nucléaires ne se partagent pas et regrettant que l'Allemagne fédérale et la Grande-Bretagne conservent avec les États-Unis des liens militaires particuliers.

Dans ses deux livres blancs, le ministère de la Défense justifie sa politique domaniale et immobilière (le domaine militaire représente 250 000 ha, l'équivalent du département des Yvelines), son aide militaire à l'étranger et, surtout, ses ventes d'armements.

Ventes d'armes

À ce propos, le ministère de la Défense organise, en octobre 1972, un salon des armements navals à Paris-Le Bourget et, en juin 1973, un salon des armements terrestres à Satory (Yvelines) après la clôture du Salon international de l'aéronautique et de l'espace, au Bourget, où sont exposés des avions de combat, des missiles et des hélicoptères de conception française. Une soixantaine de pays étrangers sont invités à chacun de ces salons sur l'initiative d'Hugues de l'Estoile, directeur des Affaires internationales à la Délégation ministérielle pour l'armement.

En 1972, la France a exporté pour environ 5 milliards de francs de matériels de guerre, au lieu de 7 milliards en 1970 et en 1971. Sur les 240 000 travailleurs de l'armement, 100 000 environ œuvrent pour l'exportation. Hugues de l'Estoile attribue le déclin des ventes d'armes françaises à l'agressivité de la concurrence américaine à l'étranger, et il dénie toute importance à une note de l'épiscopat français et de la fédération protestante qui condamnent le commerce des armes.

Équipements

Le ministère de la Défense a mis, enfin, la dernière main aux plans d'équipement de quinze ans qui fixent les grandes orientations de chacune des forces et dont le premier (celui de la marine nationale) a été approuvé par un conseil de défense en mars 1972. Les trois autres plans de quinze ans : celui des forces nucléaires stratégiques, celui de l'armée de l'air et celui de l'armée de terre, n'ont fait l'objet d'aucune communication officielle.

Ces plans de quinze ans sont différents des lois-programmes quinquennales soumises au Parlement et qui correspondent à des engagements financiers pour une tranche de ce plan à long terme. Ce sont des documents indicatifs, sans engagements financiers. À la rigueur, un gouvernement pourrait ne pas se sentir lié par de telles assurances à longue échéance. En outre, ces plans de quinze ans sont préparés dans le secret et ne font l'objet d'aucun exposé des motifs officiel sur les missions et les conceptions stratégiques relatives à chacune des forces auxquelles ils se rapportent.

En dépit du voyage officiel en France, du 27 novembre au 2 décembre 1972, du maréchal Gretchko, ministre soviétique de la Défense, les états-majors français continuent de craindre la menace éventuelle de ce que les spécialistes appellent le potentiel militaire installé à l'Est. La détente en Europe et le statu quo politique ne se sont pas accompagnés de mesures de désarmement. Bien au contraire. Les plans d'équipement de quinze ans, en France, en portent témoignage, qui prévoient une modernisation et un renforcement des moyens militaires d'ici à 1985. Dans un premier temps, les missiles stratégiques enfouis en haute Provence ou embarqués à bord des sous-marins nucléaires seront perfectionnés pour transporter sur de plus longues distances des bombes thermonucléaires. Aux cinq sous-marins et aux deux unités de dix-huit missiles stratégiques du plateau d'Albion seront ajoutés neuf autres missiles sol-sol. Enfin, les états-majors, la Délégation ministérielle pour l'armement et le Centre national d'études spatiales ont entrepris des analyses techniques et financières pour déterminer si, après 1980, la force nationale de dissuasion a besoin de disposer de satellites militaires.