Deux autres propos de R. Galley ont retenu l'attention des observateurs à Lille, car ils précisent un aspect, demeuré vague jusqu'à présent, de l'organisation de la défense. Les cadres de réserve seront associés, davantage qu'ils ne l'ont été dans le passé, au fonctionnement et à l'instruction des unités de la défense opérationnelle du territoire. La préparation militaire de volontaires leur est confiée en temps de paix, et la défense d'un secteur géographique peut leur revenir en cas de crise. La diminution du nombre des cadres de carrière s'achèvera en 1973. M. Debré avait prévu, par le biais du volontariat, de réduire chaque année de 1 à 1,5 % les effectifs de carrière jusqu'à la fin de 1975, date limite du 3e plan d'équipement militaire à long terme. Le ministre des Armées a décidé d'interrompre une telle politique de déflation des effectifs.

Budget

Mais, dans le même temps, Michel Debré avait obtenu pour 1973, en faveur des armées, des avantages financiers et un budget sans équivalent dans une nation en état de paix. Les crédits militaires approuvés par les parlementaires ont été en augmentation de 11,8 % par rapport à ceux de 1972, et ils représentent environ 18,6 % des dépenses générales de l'État. Au total 34 800 millions de F. C'est le budget d'équipement qui s'accroît le plus vite, mais les crédits de fonctionnement (52,5 % de l'ensemble des dépenses militaires) se gonflent du financement de toute une série de mesures en faveur des personnels pour un montant de l'ordre de 1 400 millions de francs.

Dans le domaine des grands programmes d'armement, l'arsenal nucléaire – à la mise au point duquel il a été affecté 6 500 millions de F environ – a été diversifié et complété, à la fin de 1972, avec l'apparition de l'arme atomique tactique. D'une puissance de 10 à 15 kilotonnes (un peu moins que celle de la bombe d'Hiroshima), des charges atomiques AN-52 ont été montées sur des avions de combat Jaguar et Mirage III-E qui auraient pour objectif, le cas échéant, des points sensibles du champ de bataille.

La marine nationale, de son côté, a mis en service opérationnel, après le Redoutable, son deuxième sous-marin nucléaire lance-missiles, le Terrible, et elle a été autorisée à commander à l'arsenal de Cherbourg le cinquième exemplaire de la série, le Tournant, qui succédera au Foudroyant et à l'Indomptable. Après 1976, ces bâtiments commenceront d'être armés avec des missiles porteurs d'une bombe H d'une puissance supérieure à la mégatonne (un million de tonnes de l'explosif classique TNT).

Essais

C'est dans cette perspective qu'une campagne de tirs nucléaires a eu lieu, durant l'été de 1972, en Polynésie française et, à moins d'un contrordre du gouvernement (que rien ne laisse présager en juin 1973), une autre campagne d'essais devrait avoir lieu durant l'été 1973. De telles expérimentations soulèvent, tant en Australie et en Nouvelle-Zélande que dans de nombreux pays étrangers, une vague de protestations qui ne sont pas toutes désintéressées.

Des campagnes d'essais souterrains seraient ultérieurement organisées – des travaux géologiques ont été entrepris sur divers atolls voisins de Mururoa comme ceux de Fangataufa ou d'Eiao – à l'exemple de ce que font déjà, depuis de nombreuses années, l'Union soviétique et les États-Unis, tant pour perfectionner leur arsenal que pour mettre au point des bombes nucléaires utilisées dans des travaux de génie civil. Du reste, les Français s'intéressent également à cette dernière technique. Mais les difficultés de trouver en Polynésie un terrain adéquat retardent l'organisation de tels essais souterrains.

La France condamnée à La Haye

L'Australie et la Nouvelle-Zélande, suivies des îles Fidji, demandent, le 9 mai 1973, à la Cour internationale de justice de La Haye, d'interdire à la France de procéder à de nouveaux essais nucléaires atmosphériques dans le Pacifique. Malgré le refus du gouvernement français de reconnaître, en l'occurrence, la compétence de la Cour, la première audience consacrée à la plainte déposée par l'Australie s'ouvre le 21 mai. Le 22 juin, la Cour de justice donne satisfaction à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande, en invitant la France à s'abstenir de toute expérience nucléaire dans le Pacifique.

Stratégie

Michel Debré restera aussi le premier ministre de la Défense à avoir établi en France une pratique très courante à l'étranger : celle de publier régulièrement un Livre blanc sur la défense qui explique et confirme des orientations de politique générale définies par le gouvernement. Dans ces deux tomes d'une centaine de pages chacun, parus en juillet 1972 et en février 1973, le ministre de la Défense s'est appliqué à mettre à la portée de lecteurs non initiés les principes de la stratégie française, l'organisation de la machine militaire et les implications industrielles ou économiques d'une défense nationale.