Journal de l'année Édition 1973 1973Éd. 1973

Philatélie

Dimanche 12 novembre 1972, à Paris. La nuit commence à tomber sur le Carré Marigny. Les négociants en timbres plient bagage. Soudain, l'un d'eux crie : « Au voleur ! ». Il se lance à la poursuite d'un individu qui vient de lui arracher la sacoche où il avait placé ses timbres les plus rares. Un autre marchand tente de barrer le passage au gangster, qui brandit un revolver et qui, froidement, abat ses deux poursuivants avant de fuir sans pouvoir être rattrapé. L'une des victimes a été tuée sur le coup. L'autre meurt quelques heures plus tard.

Dans une année philatélique particulièrement creuse en grandes manifestations et en événements marquants, ce fait divers constitue réellement une tête de chapitre. Qui aurait imaginé qu'un marché aux timbres, avec ses paisibles collectionneurs, put devenir le théâtre d'un double crime ? Et pourtant, à la réflexion, on peut se demander pourquoi un tel acte de sauvagerie n'a pas été commis plus tôt. Au Carré Marigny, négociants et acheteurs traitent de timbres qui peuvent avoir une très grande valeur et, dès lors, exciter les convoitises. Le tueur à l'affût n'était pas venu là par hasard...

Scandales

Deux autres tristes affaires ont fait scandale, l'une aux États-Unis, l'autre en Allemagne fédérale.

Aux États-Unis, les astronautes d'Apollo 15 avaient emporté plusieurs centaines d'enveloppes dûment timbrées jusque sur la lune. Ces pièces, authentifiées à leur retour par les cosmonautes, devaient être ensuite revendues à prix d'or. La NASA découvrit le pot-aux-roses. Elle confisqua la plupart des enveloppes et mit les astronautes à pied. Quelques enveloppes cependant ont pu être distribuées, et des amateurs ont donné plus de 10 000 F par spécimen. La bonne affaire n'a donc pas été manquée par tout le monde.

Il y a eu pire ! En Allemagne – et aussi en Autriche – on a mis en vente, pour de fortes sommes, des cartes timbrées à l'effigie d'Adolf Hitler et provenant des camps de concentration d'Auschwitz, Buchenwald, Ravensbruck, Dachau, Mathausen. Il s'agissait, souvent, du dernier message adressé à leurs proches par les détenus des camps de la mort. Comme la majorité de ces reliques provenaient de déportés polonais, les autorités de Varsovie s'émurent. Une enquête prouva que quelques fonctionnaires polonais avaient trouvé ce moyen de gagner beaucoup d'argent. Groupés dans une association, la Zbowid, ces individus avaient lancé un appel à la population en demandant que leur soient confiés ces messages pathétiques sous prétexte de les réunir en un martyrologe.

En réalité, après un temps de délai, les missives étaient vendues à des négociants indélicats d'Allemagne et d'Autriche. Les membres du gang des charognards ont été arrêtés. Mais les familles des déportés polonais n'ont aucune chance de récupérer ce qui, pour elles, avait une valeur sentimentale inestimable.

Gangrène

Le ministre des PTT, Hubert Germain, a réuni les journalistes spécialisés pour préciser notamment qu'il suivrait la sage politique de ses prédécesseurs en demandant à ses services de n'émettre qu'un nombre raisonnable de timbres-poste « afin de ne pas grever le budget parfois modeste des philatélistes ».

Il est regrettable que quelques autres pays n'imitent pas la France. Une fois de plus, la FIP (Fédération internationale philatéliste) a lancé un cri d'alarme. Au cours de son assemblée générale annuelle, elle a rappelé qu'une double gangrène menaçait d'atteindre la philatélie dans ses œuvres vives. Il s'agit des émissions abusives et des émissions pirates.

Les premières, rappelons-le, sont hélas officielles. Certains pays tentent, en effet, en multipliant à tort et à travers les sorties de timbres, de récupérer de précieuses devises. Les secondes émanent de faux États, telle la kyrielle d'émirats de l'Asie Mineure qui, après avoir passé des contrats plus ou moins secrets avec des négociants plus ou moins scrupuleux jettent, eux aussi, sur le marché des vignettes à tous propos et hors de propos. Il est question que la FIP publie une brochure où seraient indiqués les noms des pays dont les émissions – abusives ou pirates – pourraient ainsi être mises à l'index.