Dans un discours prononcé le 16 avril 1973 à Tripoli, le colonel Kadhafi invite le peuple libyen à « brûler les livres qui contiennent des idées importées de la réaction capitaliste ou du communisme juif ». Et il ajoute : « La seule idéologie qui sera autorisée sera celle émanant du Livre de Dieu, le Coran. »

Benghazi

Au-delà des pays arabes, le colonel s'intéresse à l'ensemble du monde musulman. Au cours de la conférence des ministres des Affaires étrangères des États islamiques, qui se tient à Benghazi (Libye) en mars 1973, il demande que l'on étudie des mesures destinées à défendre les droits des musulmans des Philippines, qui se considèrent comme opprimés et dont certains mènent une action clandestine contre leur gouvernement. La conférence se contente d'une vague déclaration de sympathie.

Réaction

Cette évolution va de pair avec l'effondrement du mythe du socialisme arabe qui connut son apogée de 1956 à 1967, à l'époque du nassérisme triomphant. Aux yeux des masses arabes, la guerre de Six Jours a marqué l'échec des régimes qui se réclamaient de cette idéologie, qu'il s'agisse de l'Égypte nassérienne ou des États baasistes comme la Syrie et l'Irak. Dans ces pays, la notion de socialisme, à laquelle on se réfère toujours, continue à se vider progressivement de tout son contenu progressiste et laïcisant, tandis que les courants musulmans intégristes reprennent de l'influence. Riches de leurs revenus pétroliers, stables, l'Arabie Saoudite, le Koweït et la Libye sont de plus en plus présents dans tout le monde arabe. Par leurs diplomates et leurs financiers, par leurs touristes aussi, qui emplissent les palaces des pays plus riants que les leurs, où ils achètent des villas.

Frères musulmans

Cette influence est particulièrement sensible en Égypte, pays carrefour, bien qu'il soit difficile de la mesurer exactement. Les milieux cultivés regardent avec condescendance le colonel Kadhafi, qui n'est pour eux qu'un bédouin sortant à peine du nomadisme. Mais dans les couches populaires, humiliées, bafouées et économiquement écrasées par les conséquences de la défaite de 1967, le colonel libyen apparaît comme l'homme qui ne se résigne pas et redonne à la communauté islamique des raisons d'espérer et d'être fière d'elle-même. Son appel à un islam pur, dur et conquérant y est bien reçu.

Parallèlement, l'organisation politico-religieuse des Frères musulmans retrouve une forte influence. Après la tentative d'assassinat du président Nasser en 1954, elle avait été interdite et décapitée. Son successeur, Anouar el-Sadate – qui fut lui-même frère musulman avant d'entrer dans le complot des officiers libres avec Nasser –, a fait libérer les dirigeants de la confrérie qui restaient en prison. Bien que clandestine, l'efficacité de son action dans l'Égypte de 1973 n'est niée par personne. Le peuple est sensible à la manière dont les Frères musulmans brandissent le drapeau de l'Islam, même s'il n'approuve pas leurs revendications inspirées par le puritanisme comme l'interdiction de la minijupe ou la prohibition de l'alcool... Mais c'est surtout en milieu étudiant qu'ils sont les plus actifs et recrutent les militants les plus déterminés. À diverses reprises des bagarres les opposent à des manifestants marxisants sur les campus.

Coptes

Ce regain de l'intégrisme musulman est une des causes des incidents qui ont éclaté, de juillet à décembre 1972, dans plusieurs endroits, entre musulmans et chrétiens coptes. Ces derniers, descendants de l'Égypte chrétienne des premiers siècles et qui ont toujours refusé de se convertir à l'islam, seraient entre 3 et 4 millions (sur 35 millions d'hab.) répartis du nord au sud du pays. Ils reprochent aux autorités de pratiquer une politique discriminatoire à leur égard, soulignant en particulier combien il leur est difficile d'accéder à des postes importants dans le gouvernement, la fonction publique, l'armée, la diplomatie, et les multiples conditions qui leur sont imposées pour ouvrir de nouvelles églises. Ils estiment que la situation a actuellement tendance à s'aggraver en raison de la poussée islamique, facilement intolérante. En retour, beaucoup de musulmans considèrent les revendications coptes comme un défi. Ici ou là, dans un village ou un quartier, la surenchère des extrémistes des deux bords transforme la tension latente en affrontement. Ainsi, en 1972, à plusieurs reprises, des églises ou des locaux paroissiaux coptes ont été incendiés.