À l'occasion de la Journée mondiale pour la paix, le 1er janvier 1972, la Commission Justice et Paix de l'épiscopat stigmatise la fausse paix que fait régner dans le pays le régime franquiste : « On nous a dit tellement de fois et sur tous les tons que la paix de la société espagnole est le fruit d'un succès obtenu il y a trente ans par la victoire des armes que beaucoup ont peut-être du mal à mesurer le gouffre douloureux qui sépare la paix officielle existant depuis lors et la concorde réelle entre tous les Espagnols. »

Ce long texte, qui énumère en détail toutes les discriminations injustes dont souffrent les citoyens, n'est repris dans aucune publication espagnole. Mais il provoque de vifs remous dans les milieux dirigeants. Le général Franco saisit l'occasion de son message radiotélévisé de fin d'année pour répliquer, en termes aussi vifs : « Ce que ne peut faire un État, c'est se croiser les bras devant certaines attitudes de caractère temporel adoptées par quelques ecclésiastiques. »

Quelques jours plus tard, le 10 janvier, a lieu dans la cathédrale San Isidro l'intronisation du nouvel archevêque de Madrid, le cardinal Enrique y Tarancon. À la différence de son prédécesseur, Mgr Morcillo Gonzalez, mort le 30 mai 1971 et qui était connu pour sa fidélité au franquisme, le cardinal Tarancon est le chef de file de l'aile libérale de l'épiscopat espagnol. Il a le plein soutien du pape : par une procédure tout à fait extraordinaire, sa nomination à Madrid a été rendue publique par le nonce apostolique quelques heures à peine après la mort de Mgr Morcillo — il s'agissait évidemment de prendre le gouvernement de court pour empêcher toute manœuvre hostile à la désignation de Mgr Tarancon. Celui-ci, prenant la parole dans la cathédrale San Isidro, souligne d'ailleurs que cette désignation est « un signe évident de la volonté de l'Église de se renouveler pour être plus présente à la réalité du monde ». Le général Franco est présent, et le cardinal ajoute qu'il est prêt à collaborer avec l'État, mais qu'« on peut collaborer en manifestant son accord ou son désaccord ».

Ainsi se manifeste désormais sur la place publique qu'entre le général Franco et l'Église les relations sont radicalement transformées. Ce qui a pour effet de faire piétiner les travaux de révision du concordat de 1953. Cependant, l'Église espagnole n'est pas unanime, et sa fraction traditionaliste a encore des soutiens dans la curie romaine comme en témoigne un autre incident révélateur.

Le 6 mars doit s'ouvrir l'Assemblée plénière de l'épiscopat. Quelques jours plus tôt, on fait grand bruit à Madrid autour d'un document de la Congrégation romaine du clergé adressé au cardinal Tarancon, et dont, semble-t-il, la presse et les milieux traditionalistes ont eu connaissance avant son principal destinataire. Ce document, non signé mais accompagné d'une lettre du cardinal Wright, préfet de la Congrégation du clergé, paraît avoir été écrit par un Espagnol de la curie romaine. Il critique très sévèrement une assemblée d'évêques et de prêtres qu'avait présidée le cardinal Tarancon, assemblée dont certaines orientations suscitent, lit-on, « de graves réserves doctrinales et disciplinaires ». De nombreux observateurs estiment que la publication de ce document du Vatican, à ce moment, vise à empêcher l'élection du cardinal Tarancon à la présidence de l'épiscopat espagnol.

Le cardinal, cependant, réagit. À l'occasion d'un séjour à Rome (prévu auparavant), à la veille de l'Assemblée de l'épiscopat, il est reçu par le pape et par le cardinal Villot, secrétaire d'État ; ils rassurent de leur appui. Le cardinal Villot lui donne même une lettre précisant que le document de la Congrégation du clergé n'a pas été soumis à l'approbation du pape, n'était pas connu à l'avance par la secrétairerie d'État, et n'avait pas de valeur normative. Autrement dit, il en limite singulièrement la portée. Le caractère exceptionnel d'une telle prise de position de la secrétairerie d'État permet, en revanche, de mesurer la confiance accordée au chef de file des évêques libéraux par les plus hautes instances de l'Église. À l'issue de l'Assemblée de l'épiscopat, le cardinal Tarancon est réélu président par 52 voix contre 20, chiffres qui manifestent un nouveau renforcement de la tendance libérale.

Les pays de l'Est

En dépit du travail obstiné de Mgr Agostino Casaroli, chargé au Vatican des relations avec les pays de l'Est, et même d'un voyage à Moscou du RP. Arrupe, supérieur général des jésuites — fait qui frappe les esprits malgré l'insistance sur la signification « essentiellement spirituelle et non politique » de ce voyage —, la situation des catholiques dans les pays communistes ne s'améliore pas.